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24/06/2005

Chère Isabelle, 2

(Suite)

2


Le lendemain, quand il se réveilla, la première chose qu'il fit fut de téléphoner à Isabelle, mais son téléphone n'était toujours pas branché. Il se demanda alors par quoi il allait commencer ; il était dans le vague mais il savait que dans ces cas là il fallait monter marche après marche sans forcément savoir où on allait et il avait l'habitude de compter sur l'improvisation. Il se fit un café pour se donner le temps de réfléchir et pensa soudain à Madeleine Restoux, cette femme qu'il avait rencontrée sur l'autoroute et qui l'avait invité à passer la voir. Après tout, Saint-Jean-Du-Var n'était pas loin et s'il cherchait des gens pour l'aider, autant commencer par elle qui était là lors de la disparition d'Isabelle. Elle avait l'air très cordiale et saurait probablement être de bon conseil. Finalement il avait assez peu d'amis dans la région et les quelques personnes qu'il fréquentait avec son épouse étaient plus des relations mondaines que de véritables proches. Il n'avait pas envie de mêler ces gens là à son affaire et savait que leurs questions viendraient bien assez tôt quand ils apprendraient par la presse ce qui était arrivé.
La journée était belle et promettait encore d'être chaude. Traversant Nice en direction de Cannes il tomba tout de suite dans une circulation dense comme il en avait connu quand il habitait Paris et eut le sentiment horrible, qu'il n'avait pas ressenti depuis des années, du temps qui s'enfuyait de manière inexorable. Ces moments de vie, ces moments dans la recherche d'Isabelle lui étaient volés par des dizaines de voitures qui se bloquaient l'une l'autre et il sentit monter en lui de la colère, le genre de colère qui l'avait amené à quitter Paris.
Des années auparavant c'était un être violent, irascible, qui ne tolérait aucune contrariété. Il travaillait dans un très grand groupe industriel ayant des ramifications internationales qui pouvait lui permettre un développement de carrière prodigieux. Il était dévoré d'ambition et n'existait que pour son emploi dans lequel il s'investissait plus que de raison. Les journées au sein de son entreprise se passaient en conflits de pouvoir, en recherche de responsabilité quand des erreurs avaient été faites, en luttes pour imposer des points de vue à des collègues aussi ambitieux que lui et qui voulaient prescrire leurs solutions. Quand il rentrait de son travail il ramenait avec lui toutes les tensions qu'il avait accumulées dans la journée et se disputait souvent avec son épouse dont il ne supportait pas la moindre réflexion. Un jour, après une querelle plus forte que les autres elle était partie en claquant la porte et n'était pas revenue pendant près de trois mois. Il en avait été désespéré et avait entamé une psychothérapie. Quand devant ses efforts Isabelle avait accepté de revenir ils avaient décidé de quitter Paris pour la province afin de mener une vie plus calme et il avait trouvé ce poste de direction dans une fonderie des environs de Belfort. Il avait revu à la baisse ses ambitions professionnelles et ils s'étaient installés dans un bonheur bourgeois de province, un peu terne certes, mais paisible. De temps en temps il trouvait l'ennui un peu lourd mais il n'en disait rien par égard pour Isabelle. Ils avaient cette villa près de Nice où ils essayaient d'aller le plus souvent possible, mais en fait c'était surtout Isabelle qui y séjournait en été. Lui pouvait prendre son mois d'août, quand la fonderie fermait, mais le reste du temps il n'y passait que de courts week-ends. D'ailleurs la villa était un bien que sa femme avait reçu en héritage. Elle y avait passé une partie de son enfance et y était beaucoup plus attachée que lui.
Saint-Jean-Du-Var n'était pas bien loin de Nice et il n'eut pas de mal à trouver le garage dont Madeleine Restoux lui avait parlé. Il s'arrêta en face et attendit un peu. Il ne voyait pas la R 12 beige de son fils et ne savait pas si elle était là. L'établissement était ouvert bien que l'on fut dimanche et l'on voyait un homme en bleu qui était affairé à l'intérieur. Il avait l'air trop jeune pour être son père, peut être était ce un ouvrier ? Ce n'était pas un très grand local, juste un atelier d'artisan mécanicien devant lequel il y avait deux pompes à essence. Sur le fronton du garage il y avait une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « Grand Garage Restoux-Mécanique Générale ».
« Tiens, se dit Pierre Meunier, elle n'a pas gardé le nom de son mari !
Il en était un peu choqué. Il pensait qu'une femme divorcée, tant quelle n'était pas remariée, devait garder le nom de son ancien époux.
Soudain quelqu'un frappa sur la vitre arrière de sa voiture. Il se retourna et vit Madeleine Restoux qui le regardait d'un air étonné.
« Ça alors ! S'exclama-t-elle ; je m'attendais à tout sauf à vous voir !
« Vous me reconnaissez ?Vous m'aviez dit de passer, dit Pierre. Alors je suis passé, il fallait que je vous parle.
« Malgré tout, dit Madeleine, je ne m'attendais pas ! J'ai dit ça... Vous savez, je suis facilement liante, mais malgré tout je ne m'attendais pas à vous voir ! Mais vous êtes là, c'est bien, venez, nous allons boire un café, il n'est que dix heures.
Pierre sortit de sa voiture et s'apprêta à suivre Madeleine.
« Venez, dit elle ; allons au café en face. C'est petit chez mes parents et ma mère est en train de faire son ménage. De plus elle se demanderait qui vous êtes.
Ils s'attablèrent à la terrasse et Madeleine le regarda encore d'un air étonné.
« Vous vous souvenez hier, quand je vous ai dit que ma femme était partie chercher à boire à la station service, dit Pierre ; eh bien je ne l'ai pas retrouvée, je ne sais pas où elle est.
Il raconta toute l'histoire à Madeleine, sa visite à la gendarmerie, ses hésitations à quitter la station-service tant il pensait qu'elle allait resurgir et la décision qu'il avait prise de former une sorte de comité de soutien pour essayer de recueillir des témoignages.
« Voilà, dit Pierre ; en fait je ne connais pas grand monde dans la région, et vous m'avez paru d'une nature généreuse, alors comme vous m'aviez offert de passer...
« Bien sûr, dit Madeleine, bien sûr ; mais concrètement, à part vous aider à coller quelques affiches où à distribuer des tracts, je ne sais pas trop ce que je peux faire. Au moins je peux vous soutenir moralement, vous avez l'air d'être dans un drôle d'état !
« Ce serait déjà ça, dit Pierre ; en fait je suis un peu perdu. Pour tout dire, j'ai l'impression de ne pas être grand chose sans ma femme.
« Vous êtes mariés depuis longtemps ? Demanda Madeleine.
« Plus de vingt cinq ans, dit Pierre ; Nous nous sommes mariés elle venait d'avoir dix huit ans. Nous n'avons pas une grande différence d'âge, mais à l'époque il me semblait qu'elle était beaucoup plus jeune que moi.
« Travaille-t-elle ? Demanda Madeleine.
« Non, plus maintenant ; elle a travaillé, mais cela fait plusieurs années qu'elle a arrêté. Elle était actrice de cinéma ; c'est un métier qui est surtout facile quand on est jeune. Cela faisait plusieurs années qu'elle n'avait pas eu de rôle intéressant, et puis je dois dire que moi aussi je préférais qu'elle arrête.
« Est-ce que ça pourrait être une piste à explorer ? Pourrait elle être partie avec quelqu'un de ce milieu ? Excusez moi, mais je vous pose des questions au hasard pour essayer de comprendre.
« Même si elle avait eu un amant, ça ne se serait pas passé comme cela, elle serait partie de la maison, ou de notre villa de Nice, mais là, nous étions arrêtés tout à fait par hasard ! Souvenez vous !
« Vous vous aimez ? Demanda Madeleine ;
« Bien sûr, dit Pierre, qu'allez vous imaginer ?
Il disait cela comme si l'amour était une chose évidente, installé une fois, installé pour toujours.
« Ce n'est pas évident, dit Madeleine, il y a des tas de gens mariés qui ne s'aiment pas ; ou qui ne s'aiment plus, ou pas assez !
« Cela va bien, nous n'avons pas beaucoup de disputes.
« S'il suffisait de ne pas se disputer pour s'aimer ! La vie serait plus belle qu'elle ne l'est ! S'exclama la jeune femme. Vous faites souvent l'amour ?
Pierre ne répondit pas, il était choqué de la question de Madeleine et son amour-propre lui interdisait de répondre à ce genre de question.
« Qu'est ce qui se passe ? Vous êtes en train de compter ou vous ne vous rappelez plus ? Madeleine avait ton sarcastique ; vous voyez que ce n'est pas si simple!
« Écoutez, dit Pierre, bien sur que ce n'est pas comme au début, tout le monde peut comprendre cela, nous n'avons plus vingt ans,
« Combien alors ? Demanda Madeleine.
Pierre ne répondit toujours pas.
« C'est plus grave que je ne pensais, dit la jeune femme.
« Je l'aime, dit Pierre, mais évidement ce n'est plus comme avant ; nous avons eu une crise grave il y a trois ans. Nous avons failli divorcer ; cela m'a amené à changer d'emploi et nous a fait venir à Belfort. J'étais trop accaparé par mon travail, je ne m'occupais plus d'elle. Elle est partie trois mois. J'ai tout fait pour qu'elle revienne ; Je ne faisais pas attention à elle mais quand elle est partie j'ai réalisé l'importance qu'elle avait. J'ai suivi une psychothérapie et j'ai vraiment fait des efforts. Elle est revenue mais c'est vrai que les choses n'ont plus été comme avant. Une certaine froideur s'était installée entre nous, nous n'avions plus l'enthousiasme du début. Je crois que la froideur venait de sa part, tandis que moi j'avais tellement peur de la perdre que je n'osais plus être naturel. Par contre je suis sûr qu'elle n'a aucune autre relation. Je m'en serais rendu compte. En choisissant mon nouveau travail j'ai bien pris garde à trouver une place où je ne sois pas obligé de m'absenter régulièrement et je ne sors jamais sans elle ni elle sans moi.
Pierre s'arrêta un instant de parler pour réfléchir. Madeleine, qui l'avait écouté sans rien dire, écrasa sur le trottoir la cigarette qu'elle était en train de fumer.
« Vous avez changé d'emploi pour elle ? S'étonna-t-elle ; ça je doit dire que c'est vraiment rare ! En général les hommes préfèrent renoncer à tout plutôt qu'à leur carrière !
« Ce n'est pas elle qui est partie, il doit y avoir une autre explication reprit Pierre ; Je ne vois qu'un enlèvement ou un crime crapuleux. C'est quelqu'un de très équilibré, elle n'aurait pas fait une fugue comme ça sur un coup de tête. Et pour aller où ? Et avec quel argent ?
« Ça ne change rien de toutes façons, dit Madeleine. Ce que vous voulez c'est la retrouver, donc il faut parler de ce que nous pouvons essayer de faire.
« Demain je vais aller voir un imprimeur et je vais faire faire des affiches avec son portrait.
« C'est bien, dit Madeleine, mais pour diffuser des affiches il faut beaucoup de gens, ou bien beaucoup de temps. Avez vous suffisamment d'argent pour payer des colleurs d'affiches ?
« Ça peut aller, dit Pierre, il n'y aura pas de problème.
« Dans un premier temps, reprit Madeleine, il faut organiser une conférence de presse avec les journaux de la région. Ce sera plus rapide et vous permettra éventuellement de trouver des gens prêts à vous aider d'une manière ou d'une autre. Et même, si les gens sont déjà un peu au courant par les journaux vos affiches seront mieux acceptées.
« Vous avez raison, dit Pierre.
« Écoutez, dit Madeleine, je connais un journaliste qui travaille au « Midi Libre ». Je vais lui téléphoner pour voir comment nous y prendre. Mais aujourd'hui c'est dimanche, il n'y a rien à faire, vous devriez retourner chez vous et vous reposer. Demain vous vous occuperez des affiches, moi du journaliste et nous ferons le point. Et puis, ajouta-t-elle, peut-être qu'en étant chez vous vous recevrez une bonne nouvelle !
Ils échangèrent leurs numéros de téléphone et Pierre remonta dans sa Mercedes.
« Je suis bête, pensa Pierre, après avoir roulé quelques centaines de mètres. Je viens lui demander son aide, elle accepte, me donne des idées, et je ne lui ai même pas posé une question sur elle, je ne sais même pas ce qu'elle fait dans la vie.
Il pensa qu'elle allait le trouver égoïste et eut envie de faire demi-tour pour s'excuser, mais il jugea qu'il aurait l'air ridicule et ce fut cette idée qui l'emporta.
Il était près de midi, le soleil était beau et un petit vent rafraîchissant agitait les feuilles des arbres. Pierre eut envie d'aller se promener, déjeuner quelque part sur la côte dans une paillote. Il n'avait pas envie de retourner chez lui à attendre il ne savait quoi. Si par miracle Isabelle refaisait surface et réapparaissait dans la maison elle pourrait toujours l'appeler sur son portable, mais de toutes façons Pierre ne croyais guère à cette hypothèse. Il était certain qu'elle devait être quelque part retenue contre son gré, enfermée, attachée peut être ou même qui sait, morte ? Tout était dans l'ordre du possible et à envisager toutes les possibilités, Pierre qui finissait toujours par en revenir aux pires préférait en fin de compte tout chasser de son esprit et essayer de faire le vide, un vide qui ressemblait au petit vent léger qui lui passait dans les cheveux.
De Saint-Jean jusqu'à la côte, il n'y avait que quelques kilomètres et la route qui descendait tout le long du chemin était facile à faire en voiture. Ce fut donc lentement et presque en roue libre qu'il se rendit dans un petit restaurant qu'il connaissait au bord de la plage et où il allait parfois avec Isabelle. En le voyant arriver, le patron, qui le connaissait de vue depuis des années qu'il venait là discrètement, lui souhaita la bienvenue et lui demanda des nouvelles de sa femme. Pierre regretta aussitôt d'être venu dans cet endroit et répondit simplement qu'elle était souffrante et ne pouvait pas sortir.
Il était plein de sentiments contradictoires : en même temps il voulait ameuter la terre entière à la recherche d'Isabelle et était gêné à l'idée d'en parler. Il avait l'impression que chaque mot qu'il dirait dans ce sens rendrait plus solide sa disparition et voulait croire que ce n'était qu'un mauvais rêve dont il finirait bien par se réveiller.
Il commanda un plat du jour, mais quand il fut servi il se rendit compte qu'en fait il n'avait pas faim bien qu'il n'eut pas mangé depuis la veille. L'odeur, la vue même des aliments l'écœurait et il repoussa son assiette. Le serveur qui passait à ce moment là s'inquiéta de la qualité du plat mais Pierre le rassura en lui expliquant que c'était lui qui ne se sentait pas très bien. Il paya et descendit faire quelques pas dans le sable, puis il s'assit à même le sol. Son costume, ses chaussures de ville ne se prêtaient pas bien à cette situation et il avait l'air un peu ridicule dans cette tenue au milieu de tous ces gens en maillot avec leur confort balnéaire. Un plagiste vint lui proposer un transat qu'il accepta et il se sentit un peu mieux. Il retira ses chaussures et le haut de ses vêtements et se laissa aller en fermant les yeux. Mais ainsi, sous le voile rouge de ses paupières derrière lesquelles brûlait le soleil le silence devint assourdissant. Il était incapable de se reposer, de fermer son esprit à cette absence qu'il ne pouvait accepter et se dit soudain qu'il comprenait ceux qui se réfugiaient dans l'ivresse de l'alcool. Mais Pierre n'avait jamais bu et ne pouvait pas imaginer de commencer aujourd'hui.
Soudain il fut mouillé d'eau froide et il se redressa en sursaut : deux enfants qui jouaient trop près de lui à s'asperger d'eau de mer s'enfuirent, penauds de leur maladresse. De les voir courir ainsi il eut envie de rire. Dans la seconde qui suivit il fut presque honteux de cette gaieté spontanée. Il se demanda si sa conduite était bien normale. Un autre, supposait-il, aurait téléphoné partout, à la famille et aux amis, pour faire part de son malheur et de son désarroi. Pierre, lui, voulait tout garder comme son bien - ou son mal - personnel. Son bonheur, qu'il n'avait jamais supporté d'étaler quand il en avait eu et aussi sa douleur que, bien qu'elle le brûlât atrocement, il ne voulait pas laisser voir. Tout au long de sa vie il avait appris à se composer un visage de cire qui ne laissait jamais percer ses émotions. Il se savait faible et ne voulait laisser paraître aucune faille qui put donner prise à qui que ce soit. Il avait un certain mépris pour tous ces gens qui s'imaginaient que leurs sentiments étaient plus forts parce qu'ils étaient voyants. En fait il comptait toujours un peu être compris sans avoir à s'exprimer.
Il eut le sentiment d'être englué sur cette plage et se releva pour marcher. Ses pas le ramenèrent à sa voiture et sa voiture sur l'autoroute. Il ne savait pas où il allait mais eut envie de faire une pointe de vitesse. La Mercedes roulait bien et il dépassa rapidement le cent-cinquante. Il avalait les kilomètres et doublait tout ce qui se trouvait devant lui. Il ressentit une griserie de toute puissance l'envahir et se sentit possédé par un autre Pierre qui cherchait de temps en temps à resurgir et qu'il pensait avoir maîtrisé. Subitement il vit des véhicules venant en sens inverse qui lui faisaient des appels de phares. Il avait à peine eu le temps de ralentir pour redescendre à une vitesse normale qu'il passa devant un radar.
« Heureusement, pensa-t-il ; ce n'est pas vraiment le jour de collectionner les ennuis. Il fit demi-tour et ne sachant où aller décida de retourner dans la villa de Nice.
Il se mit à haïr les dimanches où tout était fermé de ce qui peut être fonctionnel. Seuls étaient ouverts les lieux de loisir comme les restaurants, les cinémas, les bars. Mais pour lui qui attendait après un imprimeur, un journaliste, une gendarmerie, le dimanche était une journée morte et inutile. Il réessaya de téléphoner à Isabelle, mais cela ne donnait toujours rien. Il se rendait compte qu'il n'y aurait aucune piste de ce côté là, qu'il ne serait pas possible de localiser sa femme grâce au téléphone. Que pouvait elle devenir maintenant ? La question repassait sans cesse dans son esprit et il était incapable de choisir une réponse. Il eut envie de retourner voir le psychothérapeute qui l'avait aidé trois ans auparavant, mais c'était impossible, tout au moins comme une satisfaction immédiate, car celui-ci était installé à Paris. En fait, Pierre se rendit compte qu'il avait besoin d'un refuge, d'une protection, d'un lien à quelque chose et que par dessus tout il ne supportait pas la solitude. Soudain il eut une inspiration, comme un grand souffle qui entrait en lui, et il téléphona à Madeleine Restoux.
« C'est Pierre Meunier, s'annonça-t-il lorsqu'elle décrocha. Il y a quelque chose que j'ai oublié de vous demander tout à l'heure et que je voudrais savoir, quelle est votre profession, si vous en avez une ?
Elle fit un étrange petit bruit de gorge qui lui fit comprendre qu'elle était amusée.
« C'est drôle que vous me demandiez cela, répondit elle ; Est ce que c'est important ?
« Important non, répondit Pierre, mais tout à l'heure quand je suis parti je me suis reproché de ne pas vous avoir posé cette question. En fait tout le monde s'identifie plus ou moins à son activité professionnelle et à part leur vie privée et intime sur laquelle les gens se taisent généralement, leur métier est souvent le sujet sur lequel ils ont le plus de choses à dire et qui leur tient le plus à cœur.
« Et que pensez vous des gens qui ne travaillent pas ? Demanda Madeleine Restoux ; ont-ils grâce à vos yeux ?
« Bien sûr répondit Pierre, mais il faut de l'argent pour vivre et comme vous ne m'avez pas l'air extrêmement riche et que d'autre part vous m'avez dit que vous étiez divorcée, j'en conclu que vous travaillez.
« Vous avez raison, dit elle. Je travaille, mais seulement quand ça m'arrange et pas à longueur de semaine. Disons que je suis un peu paresseuse, seulement un tout petit peu. En fait je suis juste assez paresseuse pour ne pas travailler soixante heures par semaine. Mais de toutes façons, je pourrai bien travailler deux fois plus, cela ne me rapporterait rien en termes d'argent. Vous avez raison de dire que je ne suis pas extrêmement riche.
Pierre n'était pas plus avancé par ce langage sibyllin.
« Ça doit être un drôle de métier que vous faites, s'il ne paye pas votre travail! Dit-il.
« Vous pouvez le dire que c'est un drôle de métier dit la jeune femme. Mais il arrive quand même que ça rapporte un peu, de temps en temps. En fait je suis artiste peintre ; alors je gagne de l'argent quand je fais des expositions et que je vend des tableaux.
Pierre était surpris, il s'attendait à tout sauf à ça.
« Et que peignez vous ? Demanda-t-il, des bouquets de fleurs, des natures mortes ?
« Alors comme je suis une femme, je dois forcément peindre des fleurs et être gnan-gnan ?
« Non, ce n'est pas ce que je veux dire, essaya de se rattraper Pierre. Je n'y connais pas grand chose, disons que les bouquets de fleurs et les paysages sont la seule chose que je suis capable de reconnaître quand je vois un tableau.
« Alors vous seriez surpris, dit Madeleine ; en fait je fais de la peinture très moderne, de l'abstrait, pour simplifier.
« Ça doit être très bien aussi, s'enfonça Pierre.
« Vous savez, dit Madeleine, il ne faut pas parler de ce qu'on ne voit pas, particulièrement en peinture.
Il y eut une pose de quelques secondes et Madeleine reprit la parole :
« Comment s'est passée votre journée ?
« Je tourne en rond, dit Pierre. Je tourne en rond et je ne sais pas quoi faire. J'ai l'impression d'un vide que rien ne saurait combler. Je ne sais pas comment m'occuper en attendant demain.
« Si vous voulez venir ici, dit la jeune femme, je peux avoir quelque chose à vous proposer ; mais il faut que vous n'ayez pas peur de vous salir.
« De quoi s'agit-il ? demanda Pierre, je suis en costume.
« Un costume ça s'enlève, dit Madeleine, je vous prêterai une cotte . En fait je suis en train de donner un coup de main à mon frère qui tient le garage ; il y a quelques voitures à laver et comme il est seul le week-end il n'y arrive pas.
« Je suis votre homme, répondit il ; vous me surprenez sans cesse, mais tout vaut mieux que continuer la journée comme je l'ai commencée.
« Nous pourrons aussi parler de votre histoire, dit-elle ; en discutant avec mon frère quelques idées me sont venues.
Pierre fit rapidement la route qui le séparait de Saint Jean du Var. Il était heureux d'avoir trouvé une occupation pour tromper son ennui. Il ne se serait jamais imaginé capable de laver un jour une automobile dans un garage, mais il était prêt à tout pour fuir les pensées qui lui dévoraient l'esprit.
Une petite sonnerie stridente venant de son téléphone portable lui fit comprendre que la batterie était vide. En se couchant, la veille, il avait oublié de le brancher sur le chargeur.
« Zut ! Se dit-il ; si on m'appelle je ne pourrai pas le savoir.
Et quand il pensait « on » il pensait Isabelle, mais par superstition, peut-être, il voulait laisser cette chance vierge et préférait s'imaginer que quelqu'un d'autre chercherait à lui parler d'elle. Il hésita du coup à aller chez Madeleine Restoux, comme il était sur le point de le faire. Il eut envie de retourner chez lui, rien que pour prendre son chargeur, mais le chemin était assez long car il fallait traverser tout Nice et il ne pouvait pas non plus la prévenir. D'ailleurs il était presque arrivé, et il la vit tout de suite, en bleu de travail et en botte qui tenait un tuyaux d'arrosage à la main et était en train de rincer copieusement un gros break.
« Ne vous approchez pas trop près, dit-elle en riant quand il fut descendu de sa Mercedes. En fait il n'y en a plus qu'une après celle-ci. Allez vous changer, je vous ai préparé une combinaison, fit-elle en lui indiquant une porte entrouverte qui devait être celle d'une sorte de vestiaire. Vous tiendrez le tuyau pendant que je frotterai, mais essayez quand même de ne pas trop m'arroser !
Le vestiaire était un petit local en parpaings qui avaient été directement recouverts de peinture blanche sans avoir été enduits au préalable. Il y avait deux armoires de tôle et une seconde porte qui ouvrait sur les toilettes. Un bleu propre et une paire de bottes en caoutchouc étaient posés sur une table de formica.
« Pour la cotte cela devrait aller, lui cria Madeleine depuis la rue, mais pour les bottes je ne savais pas, du combien chaussez vous ?
« Du 44, répondit Pierre, cela devrait aller ;
En disant cela il hésitait à les enfiler car il n'avait jamais encore mis les chaussures de quelqu'un d'autre et éprouvait une sorte de répugnance. Il le fit pourtant, moitié par fatalisme, moitié par peur du ridicule, mais fit ses premiers pas en gardant les doigts de pieds recroquevillés à l'intérieur. Il se regarda en passant devant le miroir du lavabo et trouva qu'accoutré ainsi il ressemblait à l'un de ses ouvriers.
« Qu'est-ce-que je suis en train de faire, pensa-t-il, si on me voyait ainsi !
Habituellement Pierre ne faisait jamais ce genre de besogne ; Pour sa voiture il y avait toujours un membre de l'équipe d'entretien de l'usine qu'il pouvait charger de ces corvées et il n'avait jamais considéré que c'était une manière agréable de passer ses week-end. Il rejoignit Madeleine et prit le tuyau comme elle le lui avait demandé. Elle frottait fort, sans rechigner, et il avait l'impression qu'elle prenait une sorte de plaisir à s'acharner ainsi sur les moindres salissures qu'elle trouvait sur l'auto. Il le lui fit remarquer car pour sa part il ne pouvait trouver aucune sorte de plaisir à faire ce genre de choses.
« J'essaie de trouver du plaisir dans tout ce que je fais, répondit-elle, surtout les choses les plus humbles qui ne présentent aucune difficulté. C'est plus une question philosophique que l'orgueil du travail noble ou je ne sais quoi.
« Ça doit être votre nature d'artiste, dit Pierre.
« Peut-être bien que vous avez raison, dit Madeleine, quoi qu'il en soit, je ne fais jamais rien que j'aie envie de refuser, je reste toujours libre de choisir. Dans ces conditions il n'est pas difficile de rester de bonne humeur !
« Votre fils n'est pas resté avec vous ? Demanda Pierre.
« Il est reparti ce matin, comme prévu. Ça ne l'intéresse pas tellement de passer ses vacances avec sa mère. Vous avez des enfants ?
« Deux garçons, répondit Pierre ; C'est pareil, ils sont en vacances en Grèce avec leurs fiancées.
« Vous les avez mis au courant ? Demanda Madeleine.
« Pas encore, Ils font du camping, ce n'est pas facile de les joindre ; et puis j'ai préféré attendre un peu pour être sûr. Si jamais Isabelle reparaissait aujourd'hui ou demain en me disant qu'elle avait eu envie d'aller se promener, ça ne serait pas la peine de les inquiéter pour rien.
« Vous commencez à croire cela ?
« Pas vraiment, dit Pierre, c'est juste une manière de parler.
« Vous n'avez encore prévenu personne de votre entourage ?
« Non, voyez vous, si je le fait j'ai l'impression que la disparition d'Isabelle va devenir définitive. En plus je vais être entouré de gens qui s'inquiètent et qui, sous prétexte de me soutenir, passeront leur temps à m'appeler pour m'exprimer leur inquiétude, et en fait ce sera à moi de les soutenir.
Il y eut un silence de quelques minutes au bout duquel Pierre reprit la parole :
« Vous savez, dit-il, je n'ai encore jamais fait ce que vous me faites faire.
« Je sais bien, répondit Madeleine. En fait, en laveur de voitures vous n'avez pas vraiment la tête de l'emploi. Je ne me moque pas de vous, mais je trouve cela assez amusant.
« J'ai l'impression de ne pas être moi-même, dit Pierre.
« Sûrement, dit Madeleine. Je me mets à votre place, mais vous savez, quand on est très angoissé, faire de petites tâches physiques qui ne demandent pas de réflexion, comme la vaisselle ou le ménage, fait du bien. C'est pour cela que beaucoup de femmes insatisfaites par leur vie trouvent un refuge dans ces choses là.
« Êtes vous vous-même insatisfaite ? Demanda Pierre.
« Non, je me débrouille bien, mais de temps en temps j'ai peur du vide comme tout le monde.
« C'est drôle comme vous parlez facilement de toutes ces choses là.
« Vous trouvez ? Parler ça libère, ça aide à penser, ça renforce. Beaucoup de gens se referment sur eux-même pour se protéger, mais il ne comprennent pas que plus ils se renferment plus ils sont fragiles.
Il y eut encore un silence.
« Parlez moi de votre femme, reprit Madeleine.
« Que vous dire, répondit Pierre après un instant. Elle est belle, intelligente et douce. C'est une femme parfaite ; elle est élégante, prend toujours soin d'elle même et ne se laisse jamais aller.
« Que fait elle quand vous n'êtes pas là, quand vous êtes à votre travail ? Continua Madeleine.
Pierre réfléchit un instant.
« Je ne sais pas, dit-il. Je suppose qu'elle s'occupe de la maison, qu'elle fait ce qu'elle a à faire et qu'elle regarde un peu la télévision...
« Vous ne lui demandez jamais quand vous rentrez ? Demanda la jeune femme.
« Si, bien sûr, nous parlons de choses et d'autres, elle me raconte sa journée, mais je n'ai pas l'impression qu'elle fasse quelque chose de particulier.
« A-t-elle beaucoup d'amis ?
« Non, pas vraiment ; Nous ne connaissons pas grand monde, nous ne sortons pas souvent. Nous sommes invités de temps en temps parce que je suis directeur de la Sofobel, mais globalement Belfort est une ville assez ennuyeuse. Nous sortions plus quand nous habitions Paris.
« Vous êtes vraiment venus vous enterrer, dit Madeleine.
« C'est elle qui a voulu que nous venions habiter en province. Je dois dire qu'à Paris ce n'était plus possible. J'étais de plus en plus stressé par mon travail et nous allions à la catastrophe.
« N'a-t-elle pas gardé des relations personnelles de son ancien métier, quand elle était actrice ?
Pierre lui fut gré de se rappeler qu'il lui avait dit cela quelques heures plus tôt.
« C'est un milieu où les gens sont surtout préoccupés d'eux même. Dès qu'on ne vous voit plus on vous oublie.
« Je ne me souviens pas l'avoir vue au cinéma, dit Madeleine.
« Elle n'a jamais eu de grands rôles dans de grands films, dit Pierre. Il aurait peut être fallu qu'elle s'y consacre plus, mais nous avons eu des enfants et ils ont pris le pas sur sa carrière.
« Vous disputiez vous souvent ? Demanda Madeleine.
« Non, plus maintenant, répondit Pierre ; avant oui, quand nous habitions Paris. C'est d'ailleurs pour cela qu'une fois elle est partie pendant trois mois.
« Et où était elle partie ?
« Dans notre villa de Nice. Oh, elle n'était pas bien loin, je lui téléphonais, j'ai même fait la route plusieurs fois, mais je crois que si je n'avais pas changé de travail elle ne serait jamais revenue.
« Avait elle beaucoup de choses à vous reprocher ?
« Je ne sais pas, dit Pierre ; oui, je crois, je n'en sais rien. Pas des choses matérielles, mais j'étais irascible, je ne pensais qu'à mon boulot, je l'étouffais. Le jour où elle est partie je n'ai rien compris ; elle s'est mise à crier quelque chose comme : « J'existe moi aussi, j'existe ! » et elle est partie en claquant la porte. Elle n'avait jamais fait une chose pareille. Sur le coup j'étais furieux de son attitude. Et puis au bout d'un moment, quand j'ai vu qu'elle ne revenait pas j'ai commencé à paniquer. J'ai téléphoné à tous les gens chez qui elle pouvait aller, mais personne ne l'avait vue. En fait elle s'était directement rendue à la gare de lyon et avait pris le train pour Nice, un train qui arrivait le lendemain matin. Il m'a fallu huit jours pour comprendre qu'elle était peut être là bas. Huit jours d'une angoisse terrible où j'étais décomposé, liquéfié. Je passais mon temps à imaginer le moment où elle allait revenir, où j'allais de nouveau la serrer dans mes bras. Vous ne pouvez pas savoir, j'étais comme fou, et en même temps j'étais persuadé que je ne la reverrais jamais plus. J'imaginais tous les baisers que je ne lui avais pas donnés et que maintenant je voulais lui faire, toutes les caresses dont je m'accusais d'avoir été avare. Il y avait en moi une chose terrible et inconnue qui avait besoin d'elle et se réveillait sous ma peau. Au bout d'une semaine j'ai eu l'idée d'appeler à la villa et elle y était. Mais elle ne voulait plus me voir, elle ne voulait pas que je vienne la chercher. Pendant trois mois j'ai cru que j'allais mourir tous les jours. Je passais mon temps à regarder la porte en espérant la voir s'ouvrir, je guettais par la fenêtre, dans la rue j'imaginais à tout moment que j'allais voir son visage se détacher dans la foule. Les enfants sont partis habiter quelques temps chez les parents d'Isabelle qui vivent à Paris eux aussi. Je n'étais pas capable de m'en occuper. Au bout d'un mois j'allais si mal que j'avais perdu ma place. Du jour au lendemain je ne m'étais plus soucié de mon travail, j'avais raté des rendez-vous importants et fait capoter des affaires en route depuis longtemps. On m'a offert de démissionner avec une indemnité confortable. C'était terrible, c'était l'enfer. Quand je lui téléphonais elle me raccrochait au nez et m'interdisait de venir. J'ai commencé une psychothérapie et puis au bout du compte elle a changé d'avis. J'étais vidé. J'avais perdu toute cette agressivité qui s'exprimait dans mon travail et je lui ai promis que rien ne serait plus comme avant. Nous avons décidé de quitter Paris et j'ai cherché une place en province dans une PME. J'ai trouvé Belfort. Vous avez raison, c'était un peu un enterrement.
« Et maintenant, est-ce pareil ? Demanda Madeleine.
« Je ne sais pas, c'est différent, elle n'est pas partie, elle a disparu, et seulement depuis hier ; mais si je ne la retrouve pas rapidement il se peut, en effet, que je retrouve cet espèce d'état de folie dépressive où j'étais plongé.
« Est-elle belle ? Demanda Madeleine.
« Oui, bien sûr, mais beaucoup de femmes le sont. Ce qu'il y a c'est que pendant cette période je me suis rendu compte que chaque millimètre carré de sa peau était extraordinaire, que j'aimais tout chez elle, ses yeux, ses lèvres, sa nuque, la peau de son ventre ou de son dos. Et avant cela je ne l'avais jamais ressenti ainsi.
« Eh oui, dit Madeleine Restoux, l'amour c'est souvent comme le poker : gagnant ou perdant, il faut payer pour voir.
Pendant qu'il parlait ainsi, Madeleine avait fini de laver la voiture. Pierre n'avait pas fait grand chose, à part tenir son tuyau, mais il était aussi exténué que si c'était lui qui avait tenu l'éponge. Madeleine retira ses gants et montrant le jet dit à Pierre:
« Posez moi ça et allons nous changer.
Ils se dirigèrent vers le vestiaire et, y entrant la première, la jeune femme lui referma la porte au nez.
« Prem's, dit-elle, attendez là, je passe la première.
Pierre se retrouva confus devant la porte, se demandant comment il n'avait pas pensé de lui même à cette chose là. Mais Madeleine était une femme qui ne s'embarrassait pas de principes et remettait vite les choses à leur place.
« Tenez, dit-elle en ressortant, venez vous changer, pendant ce temps là je vais essayer de téléphoner à mon ami journaliste, voir s'il est rentré.
Dans le vestiaire, en se déshabillant, Pierre se demanda comment il en était arrivé là. Il avait l'habitude de tout contrôler et là, subitement, il était devenu le jouet d'un flux d'événements qui se succédaient et s'enchaînaient sans qu'il s'en rendit compte. Il se trouvait amené à faire des choses qu'il n'avait jamais faites, sans s'en défendre ni s'en étonner. Madeleine lui faisait un drôle d'effet. Il avait l'impression que derrière un abord facile c'était quelqu'un qui savait manipuler les gens et que sa gaieté et sa cordialité cachaient une force de caractère peu commune. Il repensa à la manière fortuite et saugrenue dont ils s'étaient rencontrés, au mauvais effet qu'elle lui avait fait au début, puis comment petit à petit il s'était laissé gagner par la confiance, jusqu'à se retrouver là, en train de se déshabiller dans un mauvais vestiaire qui sentait le savon gris après avoir lavé une voiture dans un garage.
Un moment il se demanda si elle pouvait être pour quelque chose dans la disparition d'Isabelle, si leur rencontre avait été tout à fait liée au hasard où si au contraire il pouvait y avoir une machination. Puis il repoussa cette idée avec horreur, se mortifiant d'y avoir pensé. Après tout, c'est de lui même qu'il était venu la trouver ce matin et s'il n'y avait pas pensé personne n'aurait pu l'y obliger. Ensuite il se souvint qu'un ami de Paris lui avait dit une fois que les psychologues avaient fait tellement de progrès qu'il existait des techniques de manipulation mentale à distance. A l'époque il avait haussé les épaules, mais maintenant ces mots lui revenaient et il se mettait à douter de tout. Quand il ressortit du vestiaire il n'osa pas regarder Madeleine en face.
« Je suis fatigué, lui dit-il, je vais rentrer chez moi et me coucher, je crois que c'est la meilleure chose que je puisse faire.
« J'allais vous garder à dîner, lui dit Madeleine. Mais qu'à cela ne tienne, allez y si vous pensez que c'est mieux. Nous nous téléphonerons demain. Je n'ai pas pu avoir mon ami le journaliste, je réessaierai plus tard.
En chemin il essaya de faire le point, mais il était incapable de savoir si les gestes qu'il avait fait étaient meilleurs ou non que d'autres qu'il aurait pu faire et cette idée l'inquiétait. Le matin même il comptait encore sur ses capacité d'improvisation et maintenant il était paniqué à l'idée qu'il ne possédait aucun critère objectif d'appréciation de la valeur de ses choix. En arrivant à la villa il ne trouva rien de changé par rapport à son départ ; la maison était toujours aussi vide, toujours aussi muette, toujours aussi chargée de l'absence d'Isabelle.
« Je ne vais pas pouvoir dormir là, pensa-t-il.
Il s'étonna que la veille cette situation ne l'en ai pas empêché.
« Sans doute était-ce trop frais, ce n'est que maintenant que je réalise.
Il alla dans l'armoire à pharmacie de la salle de bains et prit deux cachets de somnifère. Quand quelques minutes après il sentit venir le sommeil il n'avait toujours pas mangé.

(à suivre) 

22/06/2005

Chère Isabelle, 1

Chère Isabelle




1


C'était un après-midi d'été, étouffant comme souvent. Les voitures étaient arrêtées sur l'autoroute, pare-choc contre pare-choc, plus rien ne bougeait. Il y avait des familles avec des enfants et des montagnes de bagages accrochés sur la galerie, des caravanes, des camions, seule de temps en temps quelque moto passait au ralenti sur la voie d'arrêt d'urgence. Des gens étaient descendus de leur voiture pour prendre l'air et essayer de regarder au loin s'ils voyaient quelque chose. Mais on ne voyait rien car à moins d'un kilomètre de là la route escaladait une colline et la vue était bouchée. L'embouteillage allait bien plus loin que ce que l'on voyait et certains partaient à pied rejoindre une station service qui se trouvait à quelques centaines de mètres. Il y avait une enseigne de cafétéria qui dépassait des arbres et ceux qui le pouvaient envoyaient un émissaire aux nouvelles et chercher des rafraîchissements.
« Il doit y avoir un accident, dit quelqu'un.
« Cela fait quarante minutes que ça n'a pas bougé, ajouta un autre ; il y a sûrement quelque chose.
La première personne opina de la tête. C'était un homme dégarni au teint rougeaud et à la figure ronde. Ses yeux bleus et sa moustache roussâtre lui donnaient un aspect flamand et les bras à la peau blanche qui dépassaient de son polo rouge étaient couverts de taches de rousseur.
« Je vais aller aux nouvelles, dit sa femme qui était assise à côté de lui.
Elle était grande et mince ; ses cheveux blonds décolorés étaient si clairs qu'ils viraient presque sur le blanc. Elle avait le visage triangulaire et fin et ses traits bien que nettement dessinés étaient plein de douceur.
« Reste donc là, dit son mari ; ça va bien finir par redémarrer.
Mais elle était déjà dehors.
« J'ai soif, dit elle ; Et puis j'en ai assez de rester coincée là en plein soleil dans l'auto. Si ça démarre tu me prendras en route.
« Quand même, reprit l'homme, il y a la climatisation dans la Mercedes, ce n'est pas la peine d'aller marcher sous le soleil.
Elle s'éloigna sans répondre. Son mari la regarda partir avec un soupir d'énervement et haussa les épaules. Il avait bien envie de lui courir après mais ne pouvait se résoudre à laisser sa voiture seule au milieu de l'embouteillage. Quelqu'un se mit à klaxonner et aussitôt cela dégénéra en un concert collectif.
« Ça ne sert à rien, dit l'homme, ça ne sert à rien !
La porte de la voiture d'à côté s'ouvrit et une femme en sortit, tirant sur sa jupe pour en effacer les plis.
« Ça ne sert à rien, mais ça soulage dit elle. Le plus énervant est d'être obligés de rester là sans rien pouvoir y faire, sans même que ça avance un tout petit peu.
Elle regarda la plaque d'immatriculation de la Mercedes et parut intéressée.
« Tiens, dit-elle, vous aussi vous êtes du territoire de Belfort ?
« Ça ne fait pas très longtemps dit l'homme, avant nous étions en région parisienne, mais je suis venu là pour mon travail.
« Et vous habitez à Belfort même, dit la femme ?
L'homme ne répondit pas. Il regardait la R 12 usée de sa voisine, la queue de raton laveur qui pendait au rétroviseur et le sapin magique qui faisait disparaître les odeurs de cigarette.
« Vous habitez à Belfort même, répéta la femme ?
Cette fois il la regarda dans les yeux. C'était une petite brune décoiffée au visage anguleux. Elle avait de grand cernes sous les yeux mais on voyait qu'elle devait les avoir en permanence. Il regarda dans la voiture et vit que le volant était tenu par un homme d'une vingtaine d'années.
Elle avait suivi son regard.
« C'est mon fils, dit-elle ; c'est sa voiture, il m'emmène dans le midi.
L'homme ne répondait toujours pas.
« Vous n'êtes pas causant tout de même, dit la femme.
« Causer ça ne se dit pas, pensa l'homme.
Il n'avait décidément pas envie de se lier avec sa voisine. Il trouvait qu'il y avait en elle quelque chose de vulgaire et qu'elle manquait de retenue.
« Votre femme vous a laissé tomber, reprit la brune ?
Cette fois ci l'homme fut touché.
« Elle est juste partie chercher à boire, dit-il ; elle va revenir tout de suite.
« Cela fait déjà un moment, reprit-elle. J'ai du thé glacé dans le thermos, vous en voulez un peu ? Jimmy, donne moi un gobelet dit-elle en se retournant vers son fils.
Malgré la climatisation de sa voiture l'homme avait chaud à cause du soleil qui tapait directement sur le pare-brise. Il accepta et le thé, légèrement sucré, lui parut délicieux.
« Elle est gentille, après tout, pensa-t-il.
« Vous allez en vacances ? demanda la femme en regardant à l'intérieur de la Mercedes où l'on ne voyait pas de bagages.
« Nous avons une maison à côté de Nice, répondit-il. Mais nous n'allons pas en vacances, seulement en week-end.
« A ce train là, répondit la femme, il risque d'être court votre week_end !
« A chaque fois c'est pareil, dit l'homme ; En partant de Belfort ça se passe bien mais c'est quand on arrive dans la vallée du Rhône que l'on perd du temps.
« Quand même, reprit la femme ; ça en fait des kilomètres pour un simple week-end !
« En fait, dit l'homme, j'emmène ma femme qui reste pour les vacances, mais moi je rentre demain soir.
On entendit des sirènes qui venaient de l'autre côté de la colline.
« Ce n'est pas trop tôt, dit la petite femme brune, ils vont peut-être bientôt dégager la route!
« Votre mari ne va pas en vacances avec vous ? Demanda l'homme de la Mercedes.
« Plus de mari! Envolé ! Comme votre femme ! Répondit-elle.
« Ma femme n'est pas envolée, dit l'homme ; elle avait juste envie de se dégourdir et de marcher un peu. Quand la circulation va repartir je vais la récupérer à la station service.
« Bien sûr, dit l'autre, je plaisantais ! Mais moi mon mari est parti comme ça, un jour. Il est sorti faire une course et je ne l'ai jamais revu ! Il m'a laissée en plan avec un enfant qui avait dix ans à l'époque et a disparu dans la nature.
« Vous n'avez pas fait faire de recherches ? Demanda l'homme.
« Oh si, bien sûr ! On l'a même retrouvé ! Le problème c'est que maintenant il vit à l'étranger et n'a jamais voulu revenir ! Il m'a laissé la maison à finir de payer, notre fils et adieu ! Nous sommes divorcés depuis cinq ans maintenant, vous savez !
A ce moment on vit les voitures qui précédaient commencer à bouger.
« Tu viens maman, ça démarre, cria le fils depuis l'intérieur de la R12.
« Si vous passez par Saint-Jean-du-Var avec votre épouse, arrêtez vous pour me voir dit la femme avant de remonter dans la voiture. Je m'appelle Madeleine Restoux, je suis en vacances chez mes parents qui tiennent le garage à la sortie de Saint-Jean sur la route de Grasse !
« Drôle de femme, pensa l'homme ; elle ne me connaît même pas et elle m'invite chez elle !
En desserrant son frein à main il mit son clignotant à droite pour se préparer à changer de file et à aller à la station service. La circulation repartait doucement, mais les voitures étaient tellement serrées les unes contre les autres et les conducteurs tellement soucieux de ne pas céder un mètre de place qu'il eut du mal à faire sa manœuvre. Il vit s'éloigner la voiture beige de Madeleine Restoux qui bénéficiait d'une file plus rapide. Enfin il se trouva sur la bonne voie de circulation et roula lentement vers la bretelle de dégagement en regardant de loin s'il voyait sa femme.
« Elle doit être à l'intérieur, pensa-t-il, je vais me garer et descendre moi aussi pour me détendre. Après tout, nous ne sommes plus à quelques minutes près.
La cafétéria était un très grand local avec plusieurs salles séparées. Il y avait un bar en arc de cercle face auquel se trouvait une série de mezzanines surélevées de quelques marches et aussi des distributeurs automatiques de sodas. Il ne vit pas sa femme non plus que dans la boutique attenante où l'on vendait des boissons à emporter, des sandwichs et des gâteaux secs. Il se dirigea vers les toilettes des dames auxquelles on accédait après un grand couloir.
« Isabelle, tu es là ? Appela-t-il ;
Il n'y eut pas de réponse.
« Isabelle ?
Il revint vers le bar en regardant autour de lui pour voir si un endroit ne lui avait pas échappé. La caissière était occupée avec des clients et un serveur coiffé d'un calot de papier était en train de ranger des verres dans le lave-vaisselle. Il y avait très peu de monde dans la cafétéria et aucun endroit où il n'ait déjà regardé. Il ressortit et s'approcha de sa voiture mais sa femme n'était pas là non plus. Il s'éloigna un peu pour aller inspecter la zone de pique-nique avec ses tables de gros bois plantées dans le gazon. Il n'y avait nulle part de trace d'Isabelle. Il commença à être inquiet et revint vers le barman.
« Excusez moi, dit-il ; je suis à la recherche de ma femme, elle devrait être là mais je ne la trouve pas. C'est une femme blonde et mince, habillée en noir et avec des bijoux.
Il cherchait à se rappeler un détail caractéristique qui aurait pu frapper le garçon.
Celui-ci réfléchit quelques secondes.
« Attendez voir, dit-il ; il y avait une femme comme vous dites, mais elle n'était pas seule. Elle était là, au bar, et discutait avec un homme. Ils sont partis il y a cinq minutes ; mais ce n'était peut être pas elle.
« Mais ce n'est pas possible, répondit l'homme qui cherchait sa femme ; elle est entrée là tout à l'heure, pendant que je faisais la queue dans l'embouteillage, il n'y avait personne avec elle !
Il regarda encore sur le parking puis en direction de l'autoroute. La circulation était maintenant redevenue presque normale. Le flot de voitures s'écoulait lentement mais de manière ininterrompue.
« Mon Dieu ! pensa-t-il, qu'est ce qui m'arrive !
Une pensée lui traversa soudain l'esprit. Il sortit son téléphone portable de sa poche et chercha son nom dans le répertoire. Il lança l'appel et attendit quelques secondes, mais il n'y eut pas de sonnerie et il tomba directement sur la messagerie. Le téléphone d'Isabelle n'était sans doute pas branché et il n'avait pas de moyen de la joindre.
Il revint vers la cafétéria et demanda au garçon le numéro de téléphone de la gendarmerie de l'autoroute.
« C'est sérieux ? Demanda le garçon, vous avez vraiment perdu votre femme ?
« Nous étions bloqués dans l'embouteillage à quelques centaines de mètres d'ici et elle est venue à pied chercher à boire. Où voulez vous qu'elle soit passée ? Il y a absolument quelque chose d'anormal !
La caissière et le barman se regardèrent avec un air qui voulait exprimer la compassion. Ils étaient embêtés pour lui mais ne savaient pas comment l'aider.
« Y a pas, dit la caissière, il faut appeler la gendarmerie.
L'homme se sentit soudain très seul. Il était toujours très à l'aise dans son travail, avec des tas de gens sous ses ordres à qui il n'avait qu'à commander, mais dans la vie courante c'est sa femme qui avait l'habitude de s'occuper de tout.
« Donnez moi un café, demanda-t-il au barman pendant que la caissière composait un numéro au téléphone.
Il s'accouda sur le bar et prit sa tête entre ses mains. Il ne pouvait pas s'imaginer ce qui avait pu se passer.
« Vous êtes sûr que vous l'avez vue avec quelqu'un ? demanda-t-il au barman ;
« Je ne sais pas si c'était votre femme, répondit celui ci, mais il y avait une femme blonde habillée en noir et avec des bijoux.
« Avaient ils l'air de se connaître ? demanda l'homme.
« Je ne sais pas, dit le garçon, je n'ai pas bien fait attention, mais c'est sûr qu'ils parlaient ensemble.
La caissière lui tendit le téléphone.
« C'est la gendarmerie, dit elle, expliquez leur !
Le gendarme de service lui dit de passer à son bureau à la sortie d'Orange car il ne pouvait pas prendre de déposition par téléphone.
Il bu son café mais ne pu pas se résoudre à partir ; il avait l'impression qu'elle allait surgir à n'importe quel instant et qu'il n'avait qu'à rester là à l'attendre.
« Avec qui pouvait elle bien être ? Pensa-t-il. Peut-être est ce un ancien amant qu'elle a rencontré ?
Il ne l'avait jamais pensée infidèle mais soudain le doute s'installait.
« Et si elle avait rencontré un ancien amant qu'elle n'ait jamais oublié ? Se pourrait il que pendant toutes ces années elle lui ait menti en lui cachant une double vie ? On disait que dans ces cas là le mari était toujours le dernier informé. Pourtant il n'avait jamais eu l'impression de rien, il n'avait jamais eu de doute. Et si c'était un voyou, un truand qui ait engagé la conversation pour pouvoir l'enlever ensuite ? Il y avait des femmes qui étaient kidnappées comme cela par des réseaux de prostitution ! Mais à son âge ! Elle avait tout de même plus de quarante ans! Même si elle était encore très belle, c'était plutôt les très
jeunes filles un peu paumées qui se faisaient enlever comme cela !
Il paya son café et se décida à partir. La gendarmerie était à une vingtaine de kilomètres. Peut-être qu'en regardant bien sur les bords de l'autoroute il la verrait ou quelque chose qui pourrait lui donner une indication ?
« Bonne chance pour votre femme, lui dit la caissière pendant qu'il sortait.
Il roulait lentement sur la file de droite et regardait le bas-côté. Il cherchait à voir une tache de couleur où n'importe quoi qui pourrait être un signe. Les arbres défilaient sur le bord de la chaussée au milieu de l'herbe sèche et il y avait très peu de bosquets serrés. Rien qui puisse constituer vraiment une cachette, pas de bois où se perdre ; plus en arrière il y avait des champs où le blé venait d'être fauché. Là non plus il n'y avait rien d'anormal, si ce n'est cette absence qui devenait de plus en plus affolante, ce vide qui l'environnait. Les idées tournaient dans sa tête en s'accélérant.
« Qu'est ce qui a pu se passer ? Se répétait il sans cesse.
Finalement il arriva à la gendarmerie. Quand il voulut ouvrir la porte du bâtiment, celle ci était fermée à clefs. Il y avait un écriteau sur la porte : « Sonnez pour appeler. »
« C'est vrai, se dit il ; les gendarmes s'enferment maintenant, ils ont sans doute peur d'être attaqués !
Un homme en uniforme vint lui ouvrir.
« Bonjour dit l'homme qui cherchait sa femme, je vous ai téléphoné tout à l'heure, mon épouse a disparu, je crois qu'elle a été enlevée.
« Entrez, dit le gendarme, nous allons voir ça.
Il passa derrière une sorte de comptoir et s'assit devant un ordinateur.
« Commençons par le début, vous êtes monsieur ?
« Pierre Meunier, répondit l'homme ; et en disant cela il ressentit une sorte de déception. Il s'était attendu à entendre tout de suite les sirènes hurler, à voir les voitures bleu marine partir dans tous les sens à toute vitesse à la recherche d'Isabelle. Au lieu de cela il ne voyait qu'un fonctionnaire tout seul qui s'apprêtait à enregistrer une déclaration. Il déclina son identité et celle d'Isabelle et raconta par le détail ce qui s'était passé. Il avait tendance à répéter plusieurs fois ce qui lui paraissait être des indices important, comme la présence d'un homme à la cafétéria qui avait parlé avec elle, mais il se rendit soudain compte qu'il n'avait même pas songé à demander au barman à quoi ressemblait cet homme.
« Ça ne fait rien, dit le gendarme. De toute façons nous allons vérifier tout ça ; ne vous en faites pas, nous avons l'habitude. Vous êtes vous disputés récemment ?
« Non dit Pierre Meunier, mais je ne vois pas le rapport.
« Il y a cinquante mille disparitions par an en France, répondit l'autre, la plupart ne sont que des fugues. Les véritables enlèvements sont rarissimes, surtout chez les adultes.
« Nous ne nous étions pas disputés, dit Pierre ; bien sûr, il y avait des hauts et des bas, comme dans tous les ménages, mais nous n'avions pas eu de querelle grave ni importante. Elle ne serait pas partie comme cela, dans ce genre de circonstances.
Il rappela l'embouteillage, la chaleur, cette atmosphère étouffante de gaz d'échappement et le bruit des klaxons.
« Elle était partie se dégourdir les jambes, dit il. Je ne suis pas allé avec elle car il fallait bien que je reste dans la voiture ; mais cela allait bien à par ça.
« Avait elle une maladie nerveuse, ou des crises d'amnésie ?
« Pas que je sache, elle avait bien des bouffées de chaleur de temps en temps, mais c'est tout ;
« Jamais soignée pour une dépression nerveuse ou quelque chose comme ça ?
« Non, dit le mari. Tenez, ajouta-t-il, j'ai une photo d'elle justement.
Et ouvrant sa mallette il sortit une pochette de photos qui venaient d'être développées.
« Elle n'est pas d'un très grand format, mais par contre c'est une photo récente.
« Au moins c'est déjà ça, cela va nous permettre de gagner du temps, nous allons pouvoir faire des agrandissements et les diffuser dans toutes les gendarmeries. Avez vous une idée sur cet homme avec qui elle était au bar ? Demanda le gendarme.
« Je ne sais pas, dit Pierre Meunier, je me le suis déjà demandé. Je me suis demandé
si par hasard elle n'avait pas pu rencontrer quelqu'un qu'elle connaissait, un ancien amant par exemple. Mais cela ne tient pas, nous n'avons jamais eu ce genre d'histoire. C'est une femme bien, vous savez. Que va-t-il se passer maintenant ? Demanda-t-il.
« Nous allons lancer un avis de recherche et mener une enquête dans la région. Nous vous préviendrons si nous avons du nouveau. Si c'est un enlèvement vous allez certainement recevoir une demande de rançon. Ils vous dirons de ne pas prévenir la police, bien sûr ne les écoutez pas. Si nous voulons remonter jusqu'à eux il faut que nous soyons informés sur tout. Mais ne vous attendez pas trop à cela ; les enlèvements pour rançon sont préparés de manière minutieuse. En ce qui concerne votre femme, sa disparition a l'air tout à fait fortuite. Mais malgré tout on ne sait jamais. Parfois l'occasion fait le larron et il ne faut pas abandonner cette piste. Au fait, a-t-elle un téléphone portable avec elle ? C'est un instrument extraordinairement utile, car s'il est branché nous avons la possibilité de localiser l'endroit où il se trouve de manière absolument précise.
« Et s'il n'est pas branché ? Demanda Pierre.
« A ce moment, bien sûr, cela ne sert à rien ; mais souvent les gens ne pensent pas à ce détail et il nous permet de gagner du temps dans beaucoup d'enquêtes. Vous pouvez appeler ici de temps en temps pour venir aux nouvelles, mais il ne faut pas forcément vous attendre au pire. D'ailleurs nous n'avons pas d'autre cas semblable pour le moment ; quand il y a des affaires criminelles vous savez, elles sont rarement isolées. Attendez vous à recevoir la visite d'un enquêteur pour un complément d'information. Vous rentrez chez vous à Belfort ou vous continuez votre voyage dans le midi ?
« Je n'avais pas encore pensé à cela, dit Pierre. Je suppose que je vais aller dans le midi puisque c'est là que nous allions. Si jamais c'était une fugue comme vous avez l'air de le dire, il est possible qu'elle y soit allée.
« Vous avez des enfants ? Demanda le gendarme, il faut peut être penser à les prévenir.
« Nous avons deux enfants, deux garçons ; ils sont partis en vacances en Grèce avec leurs fiancées. Ils font du camping, ça n'est pas facile de les joindre, d'habitude c'est eux qui nous téléphonent.
Pierre ressortit de la gendarmerie. Le soleil avait baissé sur l'horizon et l'on sentait que l'après-midi allait toucher à sa fin. Il remonta dans sa voiture et réfléchit un peu. Il ne pouvait pas repartir comme cela. Au moment de s'engager sur l'autoroute il prit la bretelle inverse et reparti dans l'autre sens. Il dut faire une trentaine de kilomètres avant de pouvoir refaire demi-tour et retourner à la station-service.
Quand il entra dans la cafétéria et se dirigea vers le bar il vit que la caissière et le barman avaient changé. Ceux de la nouvelle équipe n'étaient au courant de rien et non, personne n'avait laissé de message à son intention. Il regarda autour de lui et sur le parking, mais il n'y avait toujours pas de traces d'Isabelle. Le fil était rompu avec ce qui s'était passé tout à l'heure. Il regarda sa montre et vit qu'il n'était pas encore dix-huit heures.
« Solange doit être chez elle, pensa-t-il, je vais lui téléphoner.
Solange était sa secrétaire ; il dirigeait une entreprise de fonderie qui travaillait pour l'industrie automobile.
« Allo, Solange ? Dit il ; c'est Pierre à l'appareil. Dites moi, je ne vais peut être pas pouvoir rentrer dimanche soir. Je pense que je ne serai pas là pendant quelques jours. Je compte sur vous pour vous occuper des affaires courantes, si il y a quelque chose de particulier n'hésitez pas à me joindre sur mon portable à tout moment.
Sa secrétaire lui demanda s'il y avait quelque chose de grave, mais il ne lui dit rien. Il préférait attendre de savoir si vraiment la disparition d'Isabelle se confirmait.
Il ne savait pas vraiment ce qu'il allait faire ; chercher Isabelle, bien sûr, mais où et comment ? C'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais il n'y avait pas d'autre choix. La gendarmerie allait faire son travail, lui il pouvait essayer de compter sur la chance. Il remonta dans sa Mercedes et reprit doucement l'autoroute en direction du sud. Autour de lui c'était le défilé ininterrompu des camions et des voitures qui le doublaient. Il roulait à une vitesse assez lente pour ne rien perdre du moindre détail de ce qu'il voyait autour de lui. Mais les kilomètres s'accumulaient et il avait la lourde impression qu'il s'éloignait de plus en plus de sa femme.
La nuit était tombée quand il arriva dans sa villa des environs de Nice. Bien sûr il n'y avait personne. Toute les lumières étaient éteintes comme il se devait, mais il n'avait pas pu se départir de l'espoir que peut être il la trouverait là à l'attendre. Il alluma la maison et sentit le vide devenir de plus en plus pesant. Qu'allait il faire maintenant ? Il ne pouvait pas errer au hasard des rues en s'imaginant qu'il allait la rencontrer à la terrasse d'un café. Il alla dans son bureau et alluma son ordinateur. De sa mallette il sortit une seconde photo d'Isabelle et pensa que c'était une chance d'être passé chez le photographe retirer cette pochette juste avant le départ. Il glissa la photo dans le scanner et entreprit de composer une affichette qu'il pourrait faire diffuser en grande quantité. Il lui faudrait attendre le lundi pour trouver un imprimeur disponible, mais déjà un plan d'action se formait dans son esprit. Grâce à des annonces à la radio et à la télévision il pourrait trouver des volontaires pour former avec lui un comité qui distribuerait les affiches et chercherait à regrouper d'éventuelles informations. Il calcula que si une lettre anonyme lui demandant une rançon lui était envoyée à Belfort elle ne pourrait pas arriver avant mardi matin au plus tôt. Il pouvait donc rester jusqu'à ce moment là dans le midi à essayer de mettre les choses en branle.
Des environs d'Orange où elle avait disparu en allant vers le midi jusqu'à Nice il y avait à peu près trois cent kilomètres. Il lui faudrait donc orienter ses recherches à l'intérieur d'un triangle représentant l'ensemble de la côte méditerranéenne et ce n'était pas une mince affaire.

(à suivre) 

18/06/2005

La véritable histoire de histoire de Tristan et Iseult

La véritable histoire de Tristan et Iseult








Il était une fois un roi dont le nom était Marc qui avait un neveu nommé Tristan. Ce roi était le souverain le plus riche et le plus puissant de toute la contrée. Cependant, bien qu'ayant beaucoup d'argent et un grand pouvoir, il était très malheureux car à son royaume il manquait une reine. Et qu'est-ce donc qu'un royaume sans héritier si fortes ses armées soient-elles ?
Un jour il convoqua son neveu qu'il aimait comme un fils et en qui il avait grande confiance. « Tristan, lui dit-il, toi qui es le meilleur de mes barons et mon parent le plus cher, je vais te confier une mission de grande importance en laquelle tu devras avoir bonne clairvoyance et fine diplomatie. Il s'agit de me trouver une épouse digne d'être une reine. »
Tristan qui, bien qu'il fut prince d'un royaume voisin savait se conduire en parfait vassal, grimpa aussitôt sur le dos de son écuyer et lui cravacha vigoureusement les fesses qu'il avait fort dodues, afin de se diriger au plus tôt vers les pays du couchant qui étaient fort lointains, même en partant de Cornouailles.
Et pourquoi, me direz vous, alla-t-il vers les pays du couchant plutôt que vers les pays du levant ? La réponse est évidente : si on cherche une épouse pour fonder une dynastie, il vaut mieux une femme qui se couche qu'une femme qui se lève ! Pour le ménage, c'est autre chose...
Après bien des aventures comiques qui valent largement celles du Mont Golgotha il réussit à trouver une vierge qui attendait paisiblement que l'on vienne la déflorer. Elle avait pour nom Iseult et vivait dans le pays lointain où l'herbe est toujours verte, même en hiver. Sa mère qui commençait à s'impatienter fut ben aise de voir venir Tristan et d'apprendre de quelle mission il était chargé. Tout de suite elle enjoignit sa fille de faire ses valises et après bien des recommandations confia à la suivante de la dite pucelle une coupe emplie d'un liquide merveilleux destiné à rendre amoureux quiconque en boirait de la personne qui en avait bu en même temps.
« Encore une de casée ! Dit-elle, c'était la dernière ! »
Donc, tristan et Iseult se retrouvèrent sur le chemin du retour en compagnie d'un nombreux équipage et à bord d'une nef qui voguait fièrement vers le pays de Cornouailles. A cette époque, où les saisons n'avaient pas encore été détraquées par les bombes atomiques, il faisait toujours superbement chaud en été, les soirées étaient douces et le vent jouait du violon dans les cordages du bateau. Aussi, en quelques jours, la provision d'eau fut-elle épuisée par l'équipage assoiffé. Vint un après midi où Tristan et Iseult, après avoir cherché pendant fort longtemps une coupe de quelque chose à se jeter derrière la cravate, s'assirent épuisés contre le bastingage.
« Mon ami, dit soudain Iseult, je viens de penser à ce breuvage que ma femme de chambre tient précieusement caché dans un coffre de sa cabine. Sans doute l'a-t-elle gardé afin de se saouler le soir en égoïste. Je vais le chercher ! Ou plutôt non, viens avec moi et nous étancherons là-bas notre soif afin de n'être vus par personne !
Une goutte de ce précieux liquide suffit à les désaltérer profondément. Mais hélas, les pauvres, ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient car c'était le philtre d'amour destiné au roi Marc et à Iseult !
Ils se regardèrent surpris car ils ne savaient pas ce qui leur arrivait, mais ils comprirent qu'ils étaient profondément épris l'un de l'autre. Leurs corps, comme aimantés, se rapprochèrent petit à petit. Quand ils en eurent conscience ils allèrent plier un gourdin dans une chaloupe.
Pendant ce temps là, un marin assoiffé qui passait dans la coursive avait vu la coupe lui aussi ; et il l'avait vidée. Il ne comprit pas très bien quand il se sentit attiré vers la chaloupe où s'aimaient tendrement Tristan et Iseult. Mais c'est bien ces derniers qui furent les plus étonnés de se sentir enfilés par derrière et par devant !

09/06/2005

Les ramasseuses

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Les ramasseuses



Ce matin je suis retourné sur cette plage dont je vous ai déjà parlé plusieurs fois et où j'aime tant aller me promener.
C'est dans la Baie du Mont Saint-Michel : à marée basse, quand la mer s'est retirée, on peut marcher pendant des kilomètres sur le sable mouillé sans atteindre l'eau. C'est alors un vaste domaine désertique, où il n'y a que les goélands et les canards qui passent dans le ciel, avec de loin en loin seulement un tas de varech ou une ligne de desures pour attirer le regard.
Marcher dans la Baie, c'est comme marcher dans un désert ou naviguer sur l'eau : il faut avoir un but à se fixer autrement l'ennui vient très vite de ne pas savoir où aller. Si on se promène dans la campagne ou en ville on est obligé de suivre les chemins ou les trottoirs des rues. Cela nous guide et on peut toujours choisir de tourner à gauche ou à droite pour suivre une rue ou un autre chemin. Mais dans la Baie, dans cette immense étendue plate, on a toujours en permanence la totalité du paysage sous les yeux. Aller à gauche ou à droite n'a plus aucun sens : il n'y a pas de route à suivre et on peut aller partout. C'est pour cela que dans la Baie, au delà des dangers que l'on peut y trouver, il faut toujours savoir où l'on va : c'est quand on a le nez sur les choses qu'elle deviennent différentes. Il y a des coins où l'on pêche et d'autres où il n'y a rien, mais de loin tout se ressemble, surtout pour celui qui n'est pas habitué à venir tous les jours.
De loin je voyais deux silhouettes penchées que je pris pour des pêcheuses de coques.
Je décidai d'aller vers elles. C'était un but comme un autre, juste une direction dans laquelle marcher, et comme j'ai beaucoup d'amis sur cette côte je me disais que si je les connaissais cela me donnerait l'occasion de les saluer et d'échanger quelques mots.
Les coques sont par excellence le fruit de mer de la région : elles sont toujours abondantes et on commence à les pêcher dès la plus tendre enfance tant cette pêche est facile ! Souvent il n'est même pas besoin de regarder au sol : on les sent sous les pieds en marchant, il y en a des tapis entiers. Il suffit de racler le sable avec un petit râteau pour les voir apparaître et il n'y a qu'à les ramasser pour en emplir des paniers. Elles ne se vendent pas cher, mais la Baie est généreuse et des générations de pêcheurs se sont nourris du produit de leur pêche. Pour les touristes et les amateurs elles sont aussi le moyen le plus sûr de passer un bon après midi.
En m'approchant je vis que les deux silhouettes penchées m'étaient inconnues. C'était deux femmes au teint mat et aux lourds cheveux noirs relevés en chignons et dont les jupes de cotonnade colorée descendaient à la hauteur des mollets. Le bas de leurs jupes était trempé par l'eau de mer et gris de vase salée, mais elles n'avaient pas l'air de s'en préoccuper. C'était deux gitanes ; elle devaient venir de ce campement de caravanes que j'avais aperçu tout à l'heure. J'étais étonné car elles n'avaient pas de panier, ni rien où mettre leur pêche. Pourtant elles étaient penchées en avant, dans la même position que les ramasseuses de coques et avaient l'air de fouiller le sable à la recherche de quelque chose.
Je m'approchai d'elles jusqu'à presque pouvoir les toucher. La plus jeune me regarda d'un air courroucé, me montrant que je les gênais. J'hésitai un peu, puis je leur demandai ce qu'elles étaient en train de chercher. Ce fut la plus vieille des deux qui me répondit, alors que l'autre faisait semblant de ne pas m'entendre :
« Mais si, il faut répondre à cet homme là ! dit elle ; peut être qu'il a un peu d'argent et qu'il sera intéressé ! »
Puis, se tournant vers moi :
« Monsieur, me dit elle, j'ai quelque chose pour vous, pour vous donner le bonheur ! Si vous m'achetez, vous serez heureux, vous obtiendrez tout ce que vous désirez ! »
J'avais souvent entendu ce genre de boniment et je ne suis pas d'une nature crédule. Mais d'entendre cela dans un tel endroit me fit sourire.
« Ne souriez pas monsieur, me dit elle. Nous, les vieilles gitanes, nous savons trouver des choses que personne ne trouve, et même ici, même les pêcheurs les plus malins ne sont pas capables de trouver ce que nous trouvons dans la vase.
« Montrez moi, lui dis-je. Vous pouvez toujours me montrer, peut-être que j'achèterai ! »
J'avais envie de savoir ce qu'elle allait me raconter et ce qu'elle serait capable d'inventer pour me soutirer quelques euros.
Elle fouilla dans sa poche et en retira une sorte de perle ovoïde, quelque chose qui aurait pu ressembler à une larme de verre, ou à une pampille de cristal provenant d'un lustre ancien.
« Vous voyez cela ? Me demanda-t-elle ; vous n'en avez jamais vu ? Eh bien c'est ce que nous nous pêchons ici ! Et cela peut vous porter bonheur pendant une lune entière, quatre semaines de bonheur ! Vous avec déjà vu ça ? »
Je convins que je n'avais jamais vu « ça ».
« Eh bien me dit-elle, si vous le voulez donnez moi tout de suite un billet de cent euros, et je vous dirai ensuite ce que c'est ! »
Je flairai l'escroquerie et ne voulu pas me laisser faire.
« Je n'ai pas d'argent sur moi, répondis-je, ce sera pour une autre fois.
« Tant pis ! Me dit-elle brutalement ; il n'y aura pas d'autre fois ! »
Elle donna un coup de coude à sa compagne pour lui faire signe de se relever et elle s'éloignèrent rapidement, me laissant seul sur place.
J'étais un peu décontenancé par leur attitude et je ne savais pas trop quoi dire. Y avait-il quelque chose à dire d'ailleurs ? Cela paraissait irréel, comme des mots entendus rapidement sans avoir le temps de leur donner un sens. Je me sentais un peu bête et en même temps je ne comprenais pas pourquoi.
Quand elles furent arrivées à quelques dizaines de mètres la plus âgée des deux s'arrêta et se tourna vers moi. Puis, haussant la voix pour couvrir le bruit du vent elle me cria :
« Ce qu'on pêche ici monsieur, que je vous ai proposé et que je ne vous proposerai jamais plus, ce que seules les vieilles gitanes savent trouver dans cette vase grise et collante, ce sont des larmes de dauphins ! »

Portrait

Sur la grève






Ils marchaient sur la grève. Le vent qui soufflait faisait voler leurs cheveux et leurs vêtements. Elle, grande, forte, les pommettes rougies par le froid et les paupières à demi fermées pour se protéger les yeux du sable qui leur fouettais le visage ouvrait la marche d'un pas vigoureux. Un lourd panier chargé de coquillages pendait au bout de chacun de ses bras et elle marchait à l'intérieur d'une jante de bicyclette posée sur les paniers qui empêchait ses charges de se rabattre sur ses mollets. Elle avait connu ce système pendant son enfance de paysanne de l'intérieur : quand elles portaient des seaux lourdement chargés pour nourrir les bêtes les filles des fermes se protégeaient les jambes par un cercle d'osier. Ce système supprimait l'effort nécessaire à maintenir un écart et permettait de moins se fatiguer. Une fois mariée avec ce gars de la côte elle avait voulu continuer à utiliser le même outil.
Au début son mari s'était moqué d'elle :
„T'as l'air fine avec ta roue de vélo !“ avait-il dit. Lui était resté adepte du dossier lourdement chargé de crevettes ou de coques, qu'on maintenait par une large sangle passant par devant les épaules, et sur lequel on empilait les bichettes et tout le matériel ayant servi à la pêche. Ce fardeau, qui obligeait à marcher penché vers l'avant pour maintenir son équilibre, permettait de porter des poids qui auraient pu paraitre démesurés. C'était le système qu'utilisaient tous les pêcheurs à pied de la Baie depuis des générations.
Elle, n'aimait pas le dossier ; elle n'arrivait pas à s'y faire et avait l'impression d'étouffer chaque fois qu'elle entrait les épaules à l'intérieur de la boucle. Alors, au bout d'un certain temps, il avait fini par admettre qu'elle ne ferait jamais les choses comme lui et il l'avait laissée faire.
Il était plus petit qu'elle, et aussi plus sec et plus nerveux. Il avait le poil noir et le teint mat, comme on en trouve de manière étonnante sur les côtes de Normandie. Ils détonnaient tous les deux : elle, grande, blonde presque rousse, aux formes généreuses mais souvent silencieuse : elle avait été habituée à travailler seule, sans parler ni pour se plaindre ni pour s'amuser. Lui, avait passé son enfance comme mousse puis petit matelot sur les grands chalutiers. Il ne connaissait que la voix forte qui sert à la fois à couvrir le vent et à donner des ordres.
Mais dans la baie, entre eux, il n'y avait pas besoin de paroles. Ils connaissaient tous les deux leur tâche qui était de rapporter le produit de leur pêche à la côte. C'était à chaque fois plusieurs kilomètres de marche, les pieds nus dans le sable mou, obligés de faire parfois des détours pour ne pas s'enfoncer dans une vasière, avec en plus la tangue qui collait à leurs pieds et alourdissait leurs pas. Ils marchaient les yeux fixés sur un bouquet d'arbres, au loin sur la dune, qu'ils regardaient comme une récompense. Ils savaient que là les attendait une camionnette vétuste et à demi rouillée où ils pourraient cesser cet effort ininterrompu et s'asseoir au sec et au chaud.

08/06/2005

Bientôt la fin

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Mais à bien y réfléchir, peut-être que le début lui aussi ressemblait à cela ?

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07/06/2005

Solitude

Solitude: ( chanson )

Solitude
Solitude
Mélancolique
Regard tragique
Toi qui m'entoures
Dans
Ta robe de velours
Noir
Et qui m'enferme
Dans une tour d'ivoire
Solitude
Solitude
Au visage d'un ami
Au regard d'une fille
Qui passent au soleil
Et qui tendent l'oreille
D'un air distrait
A mes regrets
Solitude
Solitude
Douce habitude
Qui me préserve
De la peur de parler
Et me permet
Quand je veux de crier
Toute ma peine
Dans des poèmes
Où je cherche une vie
De merveille
Au soleil
Loin de la
Solitude

(Pour la musique, comme je ne sais pas l'écrire, faudra me téléphoner)
(Les petits malins sauront se débrouiller)

22:10 Publié dans Chansons | Lien permanent | Commentaires (0)

Hommage à Lewis Caroll, 2

Trois mille Pékins



Trois mille pékins couraient couraient.....
Le pianiste s'essoufflait
Ses doigts crispés se durcissaient
Sur son instrument qui vibrait.
Ah! Quelle belle valse Madame
Nous avons couru là!
Cette immense fête dans les bois
Vos baisers qui me dévoraient
J'ai souvenir de cet été,
De la folle course que j'ai mené,
De nos cheveux qui s'emballaient
Et du vent qui soufflait, soufflait.

Les trois mille pékins qui couraient
Ont disparu au fond du bois
Le pianiste s'est écroulé
Ses mains ouvertes ont sommeillé
Et votre rire s'est soudain tu...
Les bois sont devenus forêt
Où je m'étais perdu.

15:30 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

03/06/2005

L'origine du monde

(Communication)


"L'origine du monde", tableau de Gustave Courbet, est visible au Musée d'Orsay.

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A divulguer si vous vous sentez concerné

(Communication)

Cher confrère, chère consoeur,



Permettez moi de vous rappeler rapidement la raison d'être du collectif. Notre objectif est d'obtenir l'interdiction de "traitements" psychiatriques dont le rapport bénéfices/risques est très nettement et indiscutablement en leur défaveur.



Une pétition sera remise très prochainement au chef de l'Etat, demandant un moratoire immédiat concernant la prescription de ritaline aux enfants, l'usage des électrochocs et la psychochirurgie. Elle a recueilli à ce jour plus de 1100 signatures.




Près de 8000 enfants sont aujourd'hui sous Ritaline dans notre pays. Faut il rappeler que cette drogue fait partie du tableau II (classification de l'Organisation des Nations Unies.1971) au même titre que la cocaïne, la métamphétamine, les barbituriques ou les opiacés les plus puissants !



La vérité est que l'on administre à des enfants une drogue aux effets délétères majeurs et indiscutablement établis, parfois mortels, (contrairement à ce qu'on lit régulièrement dans la presse médicale: cf pour exemple la mise au point concernant l'hyperactivité de l'enfant et de l'adolescent: Le quotidien du médecin. 23/05/2005) pour traiter une "maladie" qui n'existe pas ! (J’entends ici par maladie un processus morbide résultant d'une cause reconnue, en l'occurrence un supposé dysfonctionnement du cerveau).



Pour le docteur BAUGHMAN, neuropédiatre, membre de l'Académie Américaine de Neurologie, le diagnostic d'Hyperactivité est un diagnostic "frauduleux" (intervention du Dr BAUGHMAN devant l'Assemblée Parlementaire du Conseil de l'Europe. 23/11/2001).



Ce confrère rappelle qu'entre 1990 et 2000, 186 décès d'enfants liés à la Ritaline ont été rapportés à la FDA, ce qui ne représente selon lui que 10 à 20% des décès réellement imputables à cette drogue !



Dans les services d'urgence des hôpitaux américains, les admissions de préadolescents pour intoxication à la Ritaline sont aujourd'hui plus nombreuses que celles résultant d'intoxication à la cocaïne !





Pour le Professeur BREGGIN, psychiatre, "le diagnostic d'ADD/ADHD (ou THADA) a été développé spécifiquement dans le but de justifier l'utilisation de drogues pour maîtriser le comportement des enfants en classe". (cf témoignage du Pr BREGGIN devant le Congrès des Etats-Unis.Consultable sur le site de la pétition: http://www.moratoirepsy.com ).



Pourtant, à en croire la psychiatrie, 5% des écoliers français seraient atteints de ce trouble !



Tout cela doit cesser ! Pouvons nous cautionner par notre silence de tels agissements ? Que dirons nous demain aux milliers d'enfants qui se seront ainsi vus prescrire pendant des années des drogues aussi toxiques et qui nous demanderont des comptes ?



Nous ne devons plus accepter que l'on nous mente ! Les informations délivrées par les laboratoires Novartis (Ritaline) ou Janssen-Cilag (Concerta) et certains psychiatres leader (faiseurs) d'opinion sont contraires à la vérité et peuvent faire de nous, à notre insu, des acteurs de cette tragédie.



Récemment, quatre poursuites civiles majeures ont été intentées contre Novartis, le fabriquant de la Ritaline, pour fraude dans la sur-promotion de l’ADHD et de la Ritaline. Les plaintes accusent également Novartis de conspiration avec l’Association américaine de Psychiatrie et avec CHADD, un groupe de parents qui reçoit de l’argent de l’industrie pharmaceutique (cf témoignage du Pr BREGGIN).



Je vous invite à vous rendre sur le site de la pétition: http://www.moratoirepsy.com et à prendre connaissance de son contenu, des informations disponibles et, si la teneur du message du collectif vous agrée, à vous joindre à nous en signant cette pétition.



Restant à votre disposition.



Bien cordialement.







Dr LABREZE



Collectif des médecins et des citoyens contre les traitements dégradants de la psychiatrie.



PS: Pour vous convaincre de l'efficacité avec laquelle le tandem industrie pharmaceutique-psychiatrie peut créer un nouveau marché et le développer à outrance, au mépris de toute rigueur scientifique, de la vérité et de la santé des patients, permettez moi de vous suggérer la lecture de l'ouvrage de Guy HUGNET: La grande intoxication. Editions Cherche Midi ou bien celui du Pr ZARIFIAN, plus ancien mais toujours d'actualité: Psychotropes et société. Editions Odile Jacob.


02/06/2005

Chère madame

Chère madame






Je sais que vous me lisez bien que vous n'ayez jamais laissé de traces ici. Vous ne m'avez jamais laissé aucun commentaire ni rien qui puisse m'indiquer votre présence, mais pourtant je sais que vous venez régulièrement jeter un regard attentif sur ces lignes que j'écris presque chaque jour. Comment je le sais, alors que vous vivez si loin de moi, presque à l'autre bout du monde ? Oh, c'est facile à deviner, c'est une indiscrétion, quelqu'un qui nous connait tous les deux et à qui vous vous êtes ouverte... Bien sûr, vous allez tout de suite deviner de qui il s'agit ! Mais ne lui en veuillez pas ! Cette personne n'a en rien cherché à vous nuire ou à être médisante ; elle a simplement pensé qu'elle aimerait nous rapprocher, nous qui sommes tous les deux ses amis et qui n'osons pas nous confier l'un à l'autre.
Nous nous voyons de temps en temps, chaque fois que vous revenez en France, à la même période de l'année. Et je sais que ce temps ne va pas tarder à venir. Je sais que je vais de nouveau avoir le plaisir de regarder votre peau diaphane presque luminescente, vos sourcils finement épilés, vos lèvres roses et délicatement ourlées, les ailes de votre nez frémissantes quand vous êtes saisie de désir. Allez, je vous ai bien regardée ; je connais tout de vous ! Pas ce qui est caché bien sûr, mais de ce qui est directement accessible au regard, rien ne m'a échappé ! J'aime la finesse de vos bras, celle de votre taille que j'ai sans cesse envie d'enlacer, vos épaules dénudées en été, vos cheveux coupés court qui sont un écrin à votre visage et lui permettent de resplendir au soleil. Et votre voix, votre voix ! Comme j'aimerais l'entendre le soir à mon oreille ! Comme j'aimerais l'entendre de temps en temps rauque et de temps en temps chuchotante, clairsemée de baisers !
Mais j'arrête là ! De trop penser à vous me voici envahi d'un désir qui risquerait de vous faire peur ! Il me reste encore quelques temps avant que vous reveniez : il faut que je prenne ce temps pour vous apprivoiser, pour que vous vous habituiez à ce regard que j'ai sur vous. Si mes mots sont des caresses que je vous fait, ils doivent rester mesurés, respectueux de ce qui est l'espace de votre liberté. Un jour, je l'espère, vous même déciderez que vous avez envie que je vous les dise de plus près.
A bientôt chère madame ; je sais que je penserai tant à vous que demain j'aurai encore mille choses à vous dire.

01/06/2005

Le train de Poitiers

Le train de Poitiers



Attention ! Attention !
Reculez vous du quai !
Le train de Poitiers entre en gare !
Attention ! Attention !
Quelques minutes d'arrêt
Attention au départ !

Quelques minutes d'arrêt
C'est bien plus qu'il n'en faut
Pour descendre d'un train
Dans une robe d'été
Et cueillir un bouquet
Qui attend sur le quai

Attention ! Attention !
Reculez vous du quai !
Le train de Poitiers repart !
Attention ! Attention !
Mais il n'est pas complet
Car une robe d'été
Est restée sur le quai
Captive d'un regard !

14:55 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)