Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

31/05/2005

Histoire de Bergamotte la folle

Histoire de Bergamotte la folle





Elle est arrivée il y a onze ou douze ans, dans une maison que j'avais en Bretagne où j'étais libraire. Le père était un siamois en maraude qui courait les jardins par derrière les maisons à la recherche de femelles bien disposées à son égard. On ne le voyait jamais, et on ne découvrit son existence que le jour où on retrouva son corps écrasé sur le bord de la route.
La mère de Bergamotte était une trois couleurs qui s'appelait Petite Etoile. Bergamotte n'est donc pas pure race, mais elle est quand même assez bien imitée, y compris certaines tares génétiques particulières aux siamois, comme la queue tordue et à moitié atrophiée.
Petite Etoile fit naitre ses deux petits au grenier, cachés sous le plancher. Nous les entendions courir depuis l'appartement, mais chaque fois que nous montions deux petites bêtes sauvages disparaissaient en courant et se réfugiaient dans leur nid protecteur.
Et puis un jour, au bout de deux mois et demi, leur mère ayant jugé que c'était à nous de les nourrir et qu'elle ne voulait plus les allaiter, nous entendîmes miauler devant la porte. Sur le palier il y avait deux adorables petites boules de poils aux oreilles et au nez légèrement foncé, qui miaulaient pendant que leur mère les léchait.
C'est ainsi que Bergamotte fit son entrée dans la maison, déplacée, effarouchée, ne sachant pas où elle était.
Cela alla très bien pendant quelques jours, jusqu'à ce que je décide en accord avec mon amie que Petite Etoile devait être „opérée“, afin de mettre un terme à ses portées successives.
Petite Etoile était une chatte extrêmement attachante. Elle aimait avant tout qu'on s'occupe d'elle. Elle supportait sans rien dire d'être sous le robinet d'eau tiède du moment qu'elle savait qu'une main soigneuse allait masser ses mucles, lisser ses poils et faire briller sa fourrure. Le dimanche, quand la boutique était pleine de touristes, elle venait se coucher sur les tables de livres pour être à portée de main et de caresse. Elle passait ainsi tout l'après midi à se faire tripoter par des centaines de mains et n'en avait jamais assez. Elle était la véritable reine de la maison et quand un chat extérieur s'approchait elle le mettait en fuite avec la plus grande férocité.
Quand Petite Etoile revint de la clinique vétérinaire son caractère avait changé du tout au tout. Je ne sais pas si c'est la chute brutale de sa production d'hormone qui avait causé cela ou une muette rancoeur, mais du jour au lendemain elle perdit tout instinct maternel. Sa fille Bergamotte n'était plus sa fille et elle n'en voulait plus dans la maison. Mon amie qui était tombée amoureuse de cette petite boule de poil siamoise avait voulu la garder et entre les deux chattes commença une cohabitation difficile. Le frère avait été donné à des amis et il ne restait plus que la mère et la fille face à face. Chaque fois que Petite Etoile rencontrait Bergamotte au coin d'un meuble ou d'un couloir elle se jetait sur elle et lui fichait une volée. C'était systématique et la pauvre petite avait toujours droit au minimum à un feulement sauvage. Bergamotte en fut à moitié terrorisée et dès que quelqu'un bougeait dans la maison elle allait se réfugier sous un meuble, hors de vue et de portée.
Petite Etoile se pavanait en maitresse des lieux et plus le temps passait plus sa fille qui grandissait montrait qu'elle aurait un caractère sauvage et resterait traumatisée.
Un jour mon amie me quitta. Elle ne voulu pas emmener Bergamotte avec elle car elle la jugeait trop idiote et je restai donc seul avec mes deux chattes. Puis, le temps passant, je quittai la Bretagne et vint m'installer en Normandie.
J'aime les animaux, mais je ne les ai jamais pris pour des jouets ou je ne sais quoi. J'aime les chats parce que ce sont des animaux indépendants, qui peuvent avoir des moments d'affection mais sont avant tout atachés à leur liberté.
Avec le déménagement Petite Etoile avait perdu cette cour de visiteurs qui régulièrement la flattaient quand elle était allongée paresseusement sur une pile de livres. Et il est certain que je ne lui donnait pas cette affection énorme et admirative, exclusive, dont elle avait besoin.
Au bout de quelques mois elle alla s'installler chez une voisine âgée qui avait tout fait pour l'attirer. Cette voisine avait déjà une chatte, mais Petite Etoile la chassa du canapé et s'installa devant la télévision à sa place. Depuis, elle et la vieille dame vivent une histoire d'amour intense et chaque fois qu'elle me voit la voisine me remercie pour le beau cadeau que je lui ai fait.
Je restai donc seul avec Bergamotte. Elle était toujours aussi sauvage, dès que je bougeais elle allait se cacher et il était absolument impossible de la prendre comme on peut prendre un chat habituellement. Au mieux, quand elle voyait que j'étais immobile depuis un certain temps, elle s'approchait petit à petit et acceptait que je la touche un peu à condition de la laisser au sol et de ne pas essayer de la prendre.
Et puis les années ont passé. Avec le temps Bergamotte a fini par comprendre qu'elle ne risquait pas grand chose et elle est devenue moins farouche. Mais elle n'en est pas moins folle pour autant : elle est devenue affectueuse, mais d'une affection possessive et inquiète. D'abord elle ne sait pas rentrer ses griffes ; patte de velours, connait pas ! Elle vient s'installer sur moi, toutes griffes dehors, les plante dans mon ventre ou dans mes cuisses et me regarde fixement. Dès que je bouge la main pour manipuler la télécommande ou me gratter le nez elle croit que je veux lui échapper et suit ma main pour la récupérer. Elle se frotte contre moi d'une manière hystérique, s'énerve toute seule en ayant toujours toutes ses griffes dehors. De temps en temps je pousse un hurlement et elle s'écarte véxée en me tournant le dos. Et puis après elle revient et ça recommence. J'essaye de lui parler avec douceur pour la destresser, la calmer et arriver à ce qu'enfin elle me donne une patte douce et détendue, mais quel boulot ! Bon, ça fait maintenant pas mal d'années qu'on se connait et on s'habirtue l'un à l'autre même si on ne se comprend pas toujours très bien... Mais je me dis toujours que si elle était une femme, avec le même caractère, ça fait longtemps que je me serais enfui !
Comme quoi, il n'y a pas que chez les humains que les relations entre les parents et les enfants peuvent être pathologiques !

27/05/2005

Bergamotte

medium_bergamotte_1.jpg



Ca c'est Bergamotte ;

Et puis revoila la photo de ce matin, mais en plus grand cette fois ! (enfin j'espère ! )

medium_du_haut_de_la_falaise_2.jpg

Bon, bien sûr la photo est un peu petite !

....Dommage, c'est un si joli coin !

Au fait, la plage...



C'est par là, tu viens ?

26/05/2005

Une heure à la plage

Une heure à la plage




Premier jour à la plage ; un jour de mai, un des premier jours de chaleur en Normandie. Vous volez une heure à votre emploi du temps, un peu au repas, un peu au travail, pour avoir le temps d'aller une heure à la plage ; la première de l'année, la première qui vous montre que vous êtes vraiment sorti de l'hiver.
Vous prenez votre couffin : il attend sagement depuis l'année dernière le retour du soleil. Il est prêt, il contient tout ce dont vous avez besoin. Peu de choses d'ailleurs : un grand couvre-lit blanc de cotonnade que vous ouvrez sur le sable, et un second, plus petit, que vous conservez plié et qui, posé sur vos vêtements, vous sert d'oreiller.
Quand vous arrivez le soleil est toujours là, il ne vous a pas fait le mauvais tour d'aller à un autre rendez-vous, et la place à laquelle vous vous êtes habitué, année après année, bien à l'abri du vent,est libre et n'a pas encore été convoitée ni occupée par un autre.
Vous ouvrez le grand dessus de lit blanc et vous y allongez. Vous mettez votre téléphone pas trop loin - on ne sait jamais -, et vous vous apprêtez à vous laisser aller au délice de votre première sieste au soleil.
C'est à ce moment qu'elle arrive. Il y en a peut-être d'autres, ailleurs, mais elle, elle vous a repéré dès le début et a jeté son dévolu sur vous.
Elle, c'est La mouche. Dès que vous êtes arrivé et que vous avez retiré vos vêtements elle a senti votre odeur légèrement sucrée. Et immédiatement vous lui avez plu. Immédiatement elle est tombée amoureuse de vous, folle du parfum léger de transpiration qui vient de vos aisselles, admirative devant la douceur de votre peau, se régalant de tous les sels minéraux que vous exudez. Elle vient se promener sur votre front, sur vos lèvres, boire la sueur qui coule le long de votre nez, et ne vous lâchera pas. De toute son expérience de mouche elle sait que vous allez repartir, que vous ne resterez pas. Alors elle en profite. Elle ne vous fait pas mal d'ailleurs, elle vous fait si peu de choses : elle se contente de vous lêcher, d'aller et venir sur vous et de se gaver de tous les délices que vous lui offrez gratuitement. Et ce minuscule insecte, à la présence insoupçonnable sur une balance, devient vite l'instrument de votre torture. Plusieurs fois vous essayez de la chasser. Mais en vain : elle est souple, elle est rapide et elle a des yeux partout pour voir venir les mauvais coups. Vous essayez de faire alterner le sommeil à l'énervement, vous affectez de croire que vous allez pouvoir l'oublier. Mais elle, elle ne vous oublie pas ! Elle est toujours là ! Quand elle s'éloigne un instant, ce n'est pas qu'elle s'en va, c'est juste qu'elle prend du recul pour mieux vous admirer ! Elle survole - et surveille - son territoire ; car vous n'êtes rien d'autre que son territoire. Elle ne sait rien de vous, ne sait pas d'où vous venez, la seule chose qu'elle sait c'est que vous êtes là et que vous lui ammenez quelques odeurs sucrées
Mais tout a une fin ! La sieste est finie, au revoir la mouche ! A demain !

24/05/2005

A la santé des imbéciles heureux !

Je bois à la santé
Des imbéciles heureux
Qui vident les verres cul-sec                                                                                                                                A la fin des mariages                                                                                                                                       Qui hurlent en sautant                                                                                                                                       Le nom d'un club de foot                                                                                                                                     Et qui sont enthousiastes                                                                                                                                      Sans poser de questions.

                                                                                                                                                                      Je bois à la santé                                                                                                                                              Des imbéciles heureux                                                                                                                                     Qui aiment en surface
Mais sont toujours contents
Qui ne comprennent rien
Mais ne demandent rien
Se contentent de peu
Et y prennent plaisir.

Je bois à la santé
Des imbéciles heureux
Qui font rire les filles
D'un humour un peu gras
Dans un vie sans fièvre
Aux rêves un peu las
Mais leur font oublier
Qu'un prince ne viendra pas

Je bois à la santé
Des imbéciles heureux
Qui ne le savent pas
Et qui trinquent avec moi
Et avec n'importe qui
A envie de trinquer
De boire à leur santé
Sans trop les questionner

18:40 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

Flottant dans le ouaib...

J'emballerai mon coeur
D'une douce soie de Chine
Ou dans un lin d'Egypte
Frais et léger comme le printemps.
J'emballerai mon âme
De feuilles de papyrus
De roseau et lotus
Et nu comme un ver,
Mes baluchons à la main,
Je dériverai dans le cyber-espace
Jusqu'à ce qu'une étoile brillante
M'attire dans son orbite.

17:45 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

19/05/2005

Tous les tangos

Tous les tangos...

Tous les tangos du monde
Ne peuvent pas tanguer
Aussi fort que la ronde
Qui nous fait valdinguer

Quand dans mes bras tu tombes
De trop tourbillonner
Je suis comme une bombe
Qu'on ne peut bâillonner

Mais si quand coule l'onde
Tu ne sait pas nager
Tout au fond de la bonde
J'irai te repêcher

Si quand la foule abonde
Tu viens à t'égarer
Telle une Joconde
On ne peut te cacher

Et si les mots qui frondent
Me viennent à manquer
Aux trésors de Golconde
Irait en rechercher


Trouver des rimes en onde
Ce n'est pas bien sorcier
Tant les brunes et les blondes
Savent nous faire rêver.

14:30 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

18/05/2005

Orphée

Orphée


Orphée s'assit à même le sol en sortant de la tombe. Sous ses ongles il y avait une couche de sable jaune très fin et légèrement humide qui s'était aggloméré pendant qu'il creusait. De la pointe de son couteau il nettoya ce sable qui faisait un bourrelet et qui le gênait. Il avait creusé à la main. Il s'était servi de son arme pour entamer la couche de sable dur et tassé, mais au fur et à mesure il devait ressortir du trou à la main la matière friable et poudreuse. C'était un travail titanesque. D'abord il lui avait fallu retirer une à une les lourdes pierres qui protégeaient la tombe des animaux, mais c'est au moment de fouir dans le sol que les difficultés étaient apparues. Il n'avait pas d'outil, juste ses mains et son couteau. Au début le sable avait paru aisé à retirer, mais il s'était rapidement rendu compte qu'il lui était très difficile de l'évacuer. Dans le creux de ses paumes il en recueillait un peu et essayait de le transporter hors de l'entonnoir. Mais chaque fois les bords s'effondraient et tout était à recommencer. De temps en temps il essayait de le chasser vers l'arrière, entre ses jambes et à toute vitesse, comme le fait un chien ou un renard, mais il s'épuisait très rapidement. Il n'avait pas la vigueur et l'obstination d'un animal qui est habitué à creuser des terriers. Jusqu'à quelle profondeur fallait il aller ? Au moins la hauteur d'un homme debout pensait-il, ce devait être la profondeur de la tombe.
Au loin une fine couche de lumière apparaissait sur l'horizon ; le jour était en train de se lever et allait le démasquer alors qu'il n'avait pas fini son travail. Il disposait encore d'un répit, mais bientôt les gens du village allaient commencer à s'activer et n'importe qui pouvait surgir. Le cimetière n'était pas très à l'écart de la route et toute la journée passaient des âniers, des charrettes chargées de bois, des voyageurs ou des enfants qui jouaient. A tout moment il risquait d'être vu, ne serait-ce que par une des vieilles qui venaient régulièrement nettoyer les allées et les massifs de cyprés ou par un parent venu se recueillir sur une tombe fraîche.
Le soleil qui grimpait dans le ciel fit apparaître des ombres longues et une lumière crue. Orphée tenta de creuser encore quelques instants, mais rien n'apparaissait, aucune trace de corps, aucune pièce de tissus qui aurait émergé pour le mettre sur la voie et l'encourager. Et puis même, à quoi bon continuer ? A supposer qu'il fut arrivé à son but, qu'aurait-il fait d'Eurydice maintenant qu'il faisait grand jour et qu'il n'avait plus aucune chance de passer inaperçu ? Serait-il allé courrir dans le désert avec son corps sur les épaules ? Aurait-il traversé le village pour l'emmener jusqu'à chez lui ? Si même il abandonnait son travail là où il en était, tout le désignerait comme responsable de la profanation. Refermer le trou et remettre en place les pierres qu'il avait enlevé ? Quel travail inutile il aurait alors accompli ! Toute une nuit à creuser avec ses mains et son couteau ! Revenir le lendemain peut-être avec des outils plus adaptés, avec un projet plus mûr, plus réfléchi ? Sans doute ; quand il avait commencé à creuser, dans la nuit, après toute une journée de pleurs et de recueillement c'était sans aucune idée préconçue. Cela lui était venu comme cela, une pensée folle qui lui disait qu'il pouvait aller la rechercher et la faire revivre. Mais il n'était plus temps. Au loin, dans le village, il percevait les premiers signes d'animation qui lui disaient que le temps était compté. Lentement d'abord, puis avec rage ensuite il referma le trou qu'il avait mis si longtemps à creuser et remis les pierres en place. Il reforma la tombe à peu près comme elle était la veille et se coucha sur le dos, pleurant en regardant le ciel : Eurydice venait de mourrir pour la seconde fois.

17/05/2005

Sur le quai

Sur le quai



Vivre des heures d'attente sur le quai d'une gare
A voir les trains filer, ralentir, s'arrêter
Et ne même plus savoir si l'on vient ou l'on part
S'il s'agit d'en descendre ou plutôt d'y monter.

La fable est impossible, cela n'existe pas
Car le quai d'une gare on ne fait qu'y passer
Pourtant il était là, qui mesurait ses pas
Et regardait au sol les ombres s'inverser.

Du matin jusqu'au soir il allait et venait
Toisant les voyageurs surchargés de bagages
Cherchant des yeux celui qui passait la monnaie
A qui il conviendrait de souhaiter bon voyage.

Il était sur le quai, dressé comme balise
Et offrant son sourire, sa main aux voyageurs
Qu'il guettait harassés, fatigués de valises
Il faisait scintiller sa médaille de porteur.

17:25 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

14/05/2005

Les cerises, conte d'été.

Les cerises
Conte d'été




Chez ma grand mère il y avait un grand cerisier. Il était très vieux et avait commencé à pousser avant que le hangar ne fut construit. Quand mon grand père avait décidé d'agrandir sa forge et d'installer un nouveau bâtiment pour entreposer ses fers longs et ses réserves de matériel il n'avait pas voulu abattre l'arbre magnifique. Il avait construit tout autour de sorte que maintenant le cerisier émergeait des tôles rouillées. Ses premières branches maîtresses poussaient à moins de deux mètres du toit et il était facile d'y grimper pour ramasser des cerises ou faire la chasse aux merles pillards. Quand on montait tout en haut la vue portait très loin par dessus les haies du bocage ; c'était un observatoire parfait d'où l'on voyait sans être vu. Nous nous dissimulions dans les feuilles et après quelques minutes, quand mon oncle qui travaillait à la forge avait oublié le bruit de nos pas qui avait résonné sur la toiture métallique nous étions seuls entre ciel et terre, avec les cerises et les oiseaux.
J'avais une voisine qui s'appelait Madeleine. C'était la seule fille de mon âge dans ce petit bourg de la Mayenne qui n'était constitué que de quelques maisons regroupées autour de l'église. A part un petit nombre de commerçants et de retraités la majorité des habitants étaient des agriculteurs et vivaient dans des fermes éloignées. Ils ne venaient au village que pour faire des courses le dimanche en même temps qu'ils allaient à la messe. Madeleine était la fille du cantonnier. Alors que la maison de ma grand mère était située dans un creux, au bas du village, celle de Madeleine, juchée tout en haut de la côte qui remontait de l'autre côté se découpait sur le ciel. Ce n'était pas loin, à peine une centaine de mètres ; entre nos deux maisons il y avait une ferme où nous passions la plus grande partie de nos journées quand nous n'étions pas dans les champs à suivre la charrue pour ramasser les vers de hannetons. Madeleine avait la tête toute ronde et des cheveux blonds coupés à la Jeanne d'Arc avec une frange qui lui barrait le milieux du front. Ses joues étaient toujours roses et elle portait des tabliers à carreaux.
Nous étions dans l'arbre. Madeleine se faisait des boucles d'oreilles avec les cerises, comme en font toutes les petites filles et même, je crois, les petits garçons. Ses lèvres étaient tachés de rouge et son haleine avait la senteur acidulée des fruits. Elle riait en même temps que de temps en temps un rayon de soleil qui passait entre les feuilles de l'arbre la faisait cligner des yeux. Aussi loin que remontent mes souvenirs il y a toujours eu une fille dont j'étais amoureux, mais bizarrement je n'ai jamais été amoureux de Madeleine. Sans doute nous connaissions nous depuis trop longtemps, et puis je crois que quand j'étais enfant j'étais plus attiré par les brunes ; mon premier grand amour, à l'école primaire en Lorraine était une brune d'origine italienne. Avec Madeleine nous étions complices en beaucoup de choses, nous nous voyions tous les jours pendant les vacances d'été et elle qui ne partait jamais était toujours là et ravie de me voir. Quand nous nous retrouvions dans les fonds des jardins, dans les taillis qui bordaient la rivière ou dans l'ombre des granges de la ferme voisine nous nous livrions à des cérémonies secrètes qui reproduisaient celles des adultes mais avec nos propres rituels, nos mots, notre magie. J'ai de la peine à l'imaginer maintenant, plusieurs dizaines d'années plus tard. Qu'est elle devenue ? Comment est-elle ? J'ai oublié le son de sa voix, seuls me restent son visage et aussi ce parfum de cerise qui émanait d'elle quand nous étions dans l'arbre et qu'elle respirait.
Nous devions faire concurence aux merles qui comme nous venaient manger les cerises. Ils délaissaient celles qui n'étaient pas mûres et ne goûtaient que celles qui regorgeaient de jus et de sucre. En général notre présence suffisait à les écarter mais ils avaient compris que les plus belles grappes, celles qui se trouvaient au bout des branches les plus fines étaient hors de notre portée car nous ne pouvions aller les chercher sans craindre de les casser. Nous nous partagions le territoire de l'arbre, mais malgré tout il nous fallait, pour trouver de nouveaux fruits à manger, aller toujours plus haut, toujours plus au bout des branches, prendre toujours plus de risques. Madeleine grimpait comme un garçon ; ses jambes minces qui sortaient de ses jupes trop courtes enserraient les branches avec force et ses bras la hissaient vers le haut. Bien sûr il nous était défendu de grimper dans l'arbre. Quand nous y étions ma grand mère ou ma tante se mettaient sur le pas de la porte et nous appelaient avec inquiétude. Nous évitions de faire du bruit pour ne pas être démasqués ; nous parlions en chuchotant et nos séjours dans l'arbre tenaient toujours du secret.
Le toit à faible pente du hangar était comme un radeau et l'arbre comme le mat d'un bateau. Avec le temps nous avions amené tout un fatras de matériaux qui pouvaient devenir indispensable à notre survie si jamais le reste du monde disparaissait : nous avions des bouts de bois, des ficelles, de vieilles tôles récupérées qui nous permettaient d'installer des cabanes temporaires et quelques jouets dont nous ne nous servions que rarement. J'avais un tube de métal qui était très pratique comme longue vue, un baton qui me servait tour à tour de sceptre et d'épée et Madeleine avait amené des poupées qui étaient à la fois notre public, nos enfants ou nos passagers selon ce qu'exigeait la situation. Nous avions de petites boites dans lesquelles nous ramassions des insectes, des chenilles, des coccinelles, toutes sortes de petites punaises des bois. Pour les garder en vie nous leur donnions des cerises à manger. Certains survivaient d'autres non, sûrement ceux qui n'aimaient pas les cerises ! Peut-être qu'aussi, en notre absence, les uns dévoraient les autres ! De temps en temps, quand nous restions plusieurs jours sans venir il nous fallait vider les boites pour nous débarasser des cadavres, mais dans l'arbre il y avait toujours d'autres insectes qui pouvaient remplacer ceux que nous avions perdus et notre ménagerie était facilement renouvelable.
Il faisait toujours beau. Quand nous étions dans l'arbre il faisait toujours beau. L'air était chaud et sec, chargé des poussières des récoltes et le vent léger qui nous amenait le meuglement des vaches dans les prés ou les hénissements des chevaux au travail nous caressait gentiment. Mais à vrai dire, en y réfléchissant bien, il ne s'est jamais rien passé d'exceptionnel dans cet arbre. Aucune chute dangereuse, aucune rencontre inattendue, aucune découverte surprenante, mais l'arbre en lui-même était un monde qui n'appartenait qu'à nous. Il y a un âge pour grimper aux arbres. Avant on ne sait pas, après on ne s'y intéresse plus. J'ai aussi connu d'autres arbres : des arbres des forêts, en Lorraine, qui étaient certes beaucoup plus hauts et que l'on escaladait grace à des clous de charpentiers enfoncés dans le tronc, mais celui ci avait quelque chose de particulier : une personnalité, un caractère, il faisait partie de la famille. Ce n'était pas un arbre indifférent et maintenant je suis sûr qu'il nous parlait de temps à autre : J'ai oublié ses mots, mais je suis sûr que c'est lui qui nous disait de revenir encore et toujours nous percher dans ses branches et lui tenir compagnie, prisonnier qu'il était d'un hangar qui l'avait enfermé et l'empêchait de partir.