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18/05/2005

Orphée

Orphée


Orphée s'assit à même le sol en sortant de la tombe. Sous ses ongles il y avait une couche de sable jaune très fin et légèrement humide qui s'était aggloméré pendant qu'il creusait. De la pointe de son couteau il nettoya ce sable qui faisait un bourrelet et qui le gênait. Il avait creusé à la main. Il s'était servi de son arme pour entamer la couche de sable dur et tassé, mais au fur et à mesure il devait ressortir du trou à la main la matière friable et poudreuse. C'était un travail titanesque. D'abord il lui avait fallu retirer une à une les lourdes pierres qui protégeaient la tombe des animaux, mais c'est au moment de fouir dans le sol que les difficultés étaient apparues. Il n'avait pas d'outil, juste ses mains et son couteau. Au début le sable avait paru aisé à retirer, mais il s'était rapidement rendu compte qu'il lui était très difficile de l'évacuer. Dans le creux de ses paumes il en recueillait un peu et essayait de le transporter hors de l'entonnoir. Mais chaque fois les bords s'effondraient et tout était à recommencer. De temps en temps il essayait de le chasser vers l'arrière, entre ses jambes et à toute vitesse, comme le fait un chien ou un renard, mais il s'épuisait très rapidement. Il n'avait pas la vigueur et l'obstination d'un animal qui est habitué à creuser des terriers. Jusqu'à quelle profondeur fallait il aller ? Au moins la hauteur d'un homme debout pensait-il, ce devait être la profondeur de la tombe.
Au loin une fine couche de lumière apparaissait sur l'horizon ; le jour était en train de se lever et allait le démasquer alors qu'il n'avait pas fini son travail. Il disposait encore d'un répit, mais bientôt les gens du village allaient commencer à s'activer et n'importe qui pouvait surgir. Le cimetière n'était pas très à l'écart de la route et toute la journée passaient des âniers, des charrettes chargées de bois, des voyageurs ou des enfants qui jouaient. A tout moment il risquait d'être vu, ne serait-ce que par une des vieilles qui venaient régulièrement nettoyer les allées et les massifs de cyprés ou par un parent venu se recueillir sur une tombe fraîche.
Le soleil qui grimpait dans le ciel fit apparaître des ombres longues et une lumière crue. Orphée tenta de creuser encore quelques instants, mais rien n'apparaissait, aucune trace de corps, aucune pièce de tissus qui aurait émergé pour le mettre sur la voie et l'encourager. Et puis même, à quoi bon continuer ? A supposer qu'il fut arrivé à son but, qu'aurait-il fait d'Eurydice maintenant qu'il faisait grand jour et qu'il n'avait plus aucune chance de passer inaperçu ? Serait-il allé courrir dans le désert avec son corps sur les épaules ? Aurait-il traversé le village pour l'emmener jusqu'à chez lui ? Si même il abandonnait son travail là où il en était, tout le désignerait comme responsable de la profanation. Refermer le trou et remettre en place les pierres qu'il avait enlevé ? Quel travail inutile il aurait alors accompli ! Toute une nuit à creuser avec ses mains et son couteau ! Revenir le lendemain peut-être avec des outils plus adaptés, avec un projet plus mûr, plus réfléchi ? Sans doute ; quand il avait commencé à creuser, dans la nuit, après toute une journée de pleurs et de recueillement c'était sans aucune idée préconçue. Cela lui était venu comme cela, une pensée folle qui lui disait qu'il pouvait aller la rechercher et la faire revivre. Mais il n'était plus temps. Au loin, dans le village, il percevait les premiers signes d'animation qui lui disaient que le temps était compté. Lentement d'abord, puis avec rage ensuite il referma le trou qu'il avait mis si longtemps à creuser et remis les pierres en place. Il reforma la tombe à peu près comme elle était la veille et se coucha sur le dos, pleurant en regardant le ciel : Eurydice venait de mourrir pour la seconde fois.

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