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27/12/2017

Tom

Tom

 

 

 

Les pieds dans l'eau

 

 

 

 

Le petit Tom était assis les pieds dans l'eau au bord de la rivière. C'était une toute petite rivière qui serpentait entre les champs sur une dizaine de kilomètres et passait à côté du village. Elle était peu profonde et on voyait à travers son eau claire le fond de sable avec quelques cailloux ici et là. Il y avait des vairons, trop petits pour être mangés mais qui pouvaient servir d'appat pour d'autre poissons plus gros. De temps en temps il y avait aussi des truites ; on les voyait moins car elles se cachaient dans les trous à l'abri des pêcheurs.

Sur l'autre berge de la rivière, en face de Tom, il y avait un taillis qui montait doucement la pente d'une colline parsemée de gros blocs de granit entre lesquels des anfractuosités servaient de cachettes aux enfants.Tom s'imaginait que ce taillis, dont il ne connaissait pas l'autre extrêmité, pouvait abriter des bêtes sauvages et peut-être même toute une population d'êtres qu'il n'avait jamais vus mais dont on parlait souvent : des bandits, des braconniers, voire même des indiens ...

C'était l'été et il faisait chaud. La plupart des ses copains d'école vivait dans des fermes éloignées du bourg, mais lui restait avec Maria qui tenait un commerce de tissus et de produits ménagers. Dans la boutique il y avait un long comptoir de bois ciré sur lequel Maria déroulait les coupons d'étoffe pour les montrer aux clientes. Il s'ennuyait dans le magasin en été quand il n'y avait plus d'école. Il y avait une dame de Paris qui passait ses vacances au village. De temps en temps elle prenait quelques enfants avec elle pour les emmener l'après midi dans un pré au bord de la rivière. C'était l'occasion de jeux et de découvertes, d'autant plus que parmi les garçons et les filles certains étaient plus âgés et avaient des conversations que Tom écoutait avec beaucoup d'intérêt, même s'il ne comprenait pas tout.

Ce jour là, ayant réussi à s'échapper, Tom était seul et regardait les petits vairons qui se faufilaient dans la rivière entre les herbes. Il y avait des reflets dans l'eau, des taches d'ombre et de lumière qui faisaient de jolis dessins mouvants. Soudain Tom vit dans l'eau quelque chose qui ressemblait à un visage. Le petit garçon se retourna mais il n'y avait personne derrière lui. Il regarda encore et le visage était toujours là qui lui souriait maintenant. C'était dans l'eau, mais c'était un vrai visage, pas seulement un reflet de lumière. En regardant mieux Tom vit qu'il y avait aussi un corps qui prolongeait la figure, un corps vêtu d'une robe blanche avec deux mains qui bougeaient en lui faisant des signes. Une voix s'adressa à lui, c'était la voix d'une jeune fille :

- Viens me rejoindre petit homme, viens te baigner avec moi...

Voyant que le visage qui parlait connaissait son prénom Tom se senti rassuré.

- Qui êtes vous ? Demanda-t-il.

- Je suis Naïa, la fée de cette rivière. Il fait chaud, viens te baigner avec moi.

Tom hésitait.

- Je n'ai pas le droit d'aller dans l'eau répondit il, et puis je ne veux pas mouiller mes habits ...

- Ça ne fait rien dit la voix, personne n'en saura rien, et tes habits, tu n'as qu'à les enlever !

Le visage dans la rivière souriait en le regardant

- Je n'ai pas de maillot dit Tom.

- Mais cela ne fait rien, moi non plus je n'ai pas pas maillot sous ma robe de fée ! Regarde les poissons, eux non plus n'ont pas de maillot ! Tu aimerais nager comme un poisson ? Viens avec moi et je t'apprendrai !

Tom fini par se laisser convaincre. Il ota d'abord ses sandales ajourées et fit mine de descendre dans l'eau.

- Enlève tout, dit la fée. Enlève tout et viens te baigner avec moi !

Tom se déshabilla entèrement et posa ses vêtements sur une pierre plate au bord de la rivière.

Il entra ensuite dans l'eau. La rivière était peu profonde et l'eau lui arrivait à peine au desssus de genou.

- Viens nager, dit la voix, viens nager avec moi.

- Je ne sais pas nager dit Tom

- C'est facile, tu verras : tu t'allonges dans l'eau en y entrant bien la tête et tu ouvres les yeux, tu verras, c'est facile ! La seule chose, tu dois retenir ta respiration.

Ça c'était une chose que Tom savait faire car c'était un de ses jeux favoris : il retenait sa respiration et comptait en essayant d'aller le plus loin possible.

Le jeune garçon mit sa tête sous l'eau et regarda autour de lui. Étonnamment la rivière paraissait beaucoup plus profonde qu'elle ne lui avait semblé depuis la rive. Il comprit rapidement comment il pouvait se déplacer sous l'eau en faisant des gestes de ses bras et ses jambes. Il y avait des tas de poissons multicolores qu'il n'avait jamais vus depuis les berges de la rivière. "Comme c'est beau" pensa-t-il.

Mais dans l'eau il ne voyait plus la fée, elle semblait avoir disparu. Il regardait autour de lui, et cherchait, cherchait encore ... Il sortit la tête de l'eau pour regarder et l'appeler et eut soudain l'impression que ce n'était plus la même rivière : elle était devenue beaucoup plus large et ses berges s'étaient éloignées.

Il appela :

- Où êtes vous madame le fée ?

Personne ne répondit. Il remit la tête sous l'eau et regarda autour de lui. Il y avait encore plus de poissons que tout à l'heure. Des gros poissons de toutes les couleurs, comme il n'en avait jamais vus avant. C'était beau. Il recommença à nager sous l'eau avec les poissons et eux venaient jouer avec lui. Ils se frottaient contre son corps et de temps en temps lui laissaient quelques écailles qui venaient se coller sur sa peau. Cela dura longtemps. Il n'avait pas besoin de respirer, cela lui paraissait tout naturel.

Et puis au bout d'un long moment il eut l'impression que l'eau devenait plus sombre. Il sortit la tête pour respirer – la première fois depuis qu'il était entré dans la rivière – et vit que le soir était en train de tomber. Ses habits étaient toujours sur la pierre plate, là où il les avait posés.

- Il est tard, pensa-t-il, je vais me faire disputer !

Il ressortit de la rivière et commença de se rhabiller.

 

 

14/12/2017

 

 

 

Tom 2

 

 

Quelques jours plus tard Tom était de retour au bord de la rivière. Il avait encore en souffrance le martinet que Maria lui avait promis. Ce n'était pas la première fois mais elle ne passait que rarement à l'action. Comme Tom était un enfant placé il savait qu'il pouvait jouer avec les nerfs de Maria allant parfois jusqu'à la menacer de "tout dire" à l'assistante sociale. En fait, dans ce "tout", il ne savait pas trop qu'y mettre. Il était un peu dans la situation d'un enfant à confesse qui doit inventer des péchers pour être crédible. Quand Maria le menaçait elle fronçait les soucils et le regardait fixement de ses grands yeux noirs maquillés à la biche. Mais en même temps Tom voyait bien que le coin de ses lèvres souriait. Cela l'exonérait de la peur qu'il aurait du ressentir, mais il entrait dans le jeu pour que cela n'aille pas plus loin.

De temps en temps, quand il sentait que la surveillance de Maria s'adoucissait et qu'elle était prête à lui laisser un peu plus de liberté il en profitait pour retourner à ses passions. Tom était un élève assidu de l'école buissonnière. En chemin tout l'intéressait, depuis le moindre vol de papillon jusqu'à l'exploration des sentes laissées dans les herbes par les bêtes sauvages. Bien sûr, il oubliait en général quel était son but initial et arrivait régulièrement en retard à l'école.

C'était en partie pour cela qu'il avait été "placé". Il n'avait jamais connu son père et sa mère avait tout de suite été débordée. Elle n'arrivait pas à communiquer avec lui parce que dans son esprit communiquer voulait dire se faire entendre et se faire obéir. Tom était un être et un esprit libre. Trop jeune pour que la liberté soit une opinion, la liberté était son état naturel.

 

Ce jour là l'eau de la rivière était plutôt terne, d'une couleur hésitant entre le gris et le glauque et l'on ne voyait pas à travers. Il avait plu les jours précédents et le ciel était encore chargé. On ne voyait pas le fond mais rien non plus ne se reflétait. Le niveau lui aussi avait changé : l'eau paraissait plus haute que la dernière fois. Pas de beaucoup, peut-être, mais comment savoir exactement ? Pour s'en assurer Tom ôta ses chaussures et entra dans la rivière précautionneusement.

Effectivement l'eau avait monté. Le jeune garçon dû retrousser son short de ses mains pour ne pas le mouiller, et encore, il marchait sur la pointe des pieds en tâtant le fond devant lui.

Soudain il senti que quelque chose lui saisissait la cheville. C'était comme une main qu'il ne pouvait pas voir dans l'eau boueuse. C'était comme une main qui le tenait fermement et qui cherchait à l'attirer. Tom chercha à retirer sa jambe en s'appuyant sur l'autre, mais bien sûr il finit par glisser. Il tomba de tout son poids dans l'eau et eut juste le temps de prendre sa respiration.

Il était au fond de l'eau et ce qui le retenait ne le lâchait pas. Il avait gardé les yeux ouverts en tombant. Tout autour de lui il vit d'autres yeux qui le regardaient. Il y en avait des centaines et tous le regardaient fixement. La main qui le retenait se mit à l'entraîner et il vit le fond de la rivière qui défilait sous lui. Et toujours il y avait d'autres yeux qui le regardaient.

Tom eut envie de crier "lâchez moi, lâchez moi !" mais aucun son compréhensible ne sortit de sa bouche. Il n'y eut qu'un bruit d'ébullition, comme le bruit de siphon d'un évier qui se vide, et tout l'air qu'il avait aspiré s'échappa d'un seul coup de ses poumons. Dans la seconde suivante ce furent des litres et des litres d'eau qui pénétrèrent son corps et il se mit à tousser pour essayer de les rejeter.

Soudain il comprit que tous ces yeux qui le regardaient étaient ceux des noyés de la rivière. Mais comment une si petite rivière pouvait-elle avoir autant de noyés ? Des voix résonnaient dans sa tête : Certaines disaient 'Tom, viens avec nous !" tandis que d'autres disaient "Tom, viens nous chercher !" Tom vit des vies qui avaient défilé et il sut que tous ces noyés étaient là depuis des dizaines et des dizaines d'années, voire des siècles. Que c'était toutes les vies que la rivière avait englouties depuis des temps immémoriaux et que ces vies le regardaient.

Comme la dernière fois la rivière était devenue large et profonde, mais elle était beaucoup moins gentille.

Soudain Tom eut la sensation que quelque chose d'extraordinaire se passait : ses vêtements devinrent de plus en plus près de son corps, de plus en plus serrés, comme s'ils étaient en train de rétrécir. Et puis ils se déchirèrent ; ils se déchirèrent, tombèrent en morceaux et son corps redevint libre. Il était nu et libre : même la main qui l'avait attiré au fond de l'eau avait cessé de le tenir. Il put enfin se redresser et sortir.

Mais quelque chose avait changé. Il ne comprit pas tout de suite de quoi il s'agissait, c'était indéfinissable. La rivière était redevenue une toute petite rivière comme elle l'avait toujours été et le paysage lui paraissait aussi être le même. Pourtant il avait l'impression qu'il y avait des différences.

Il reprit le chemin du village. Il était gêné par sa nudité mais comme le soir tombait Tom pensa qu'il réussirait à passer inaperçu. Seule la réaction de Maria le préoccupait. Il ne savait pas comment il pourrait expliquer la perte de ses vêtements. Dire la vérité était exclu : elle ne pourrait jamais le croire, le traiterait de menteur et dirait qu'il ne savait plus quoi inventer.

Sur son chemin il y avait une barrière à passer. Elle lui paru beaucoup plus petite, plus facile à enjamber.

Et soudain il comprit : il comprit que ce n'étaient pas ses vêtements qui avaient rétréci, mais lui même qui avait grandi. Son corps était devenu plus grand, comme celui d'un homme adulte et si ses vêtements s'étaient déchirés ainsi c'est parce qu'ils étaient devenus trop petits pour lui et avaient cédé sous la pression de son corps. Il vit aussi d'autres changements : le bas de son ventre s'était couvert de poils et certains arbustes qu'il connaissait bien avaient changé eux aussi : eux aussi avaient augmenté de taille, s'étaient développés et étaient devenus de jeunes arbres adultes.

Tom comprit alors que beaucoup de temps avait dû passer...

 

 

20/12/1017

 

 

 

Tom 3

 

 

 

Quand Tom arriva près de la maison de Maria, il vit de la lumière. Il s'approcha de la fenêtre et regarda l'intérieur, mais de là où il était il ne voyait pas l'ensemble de la maison. Il frappa à la porte. Il n'y eut pas de réponse tout de suite et Tom frappa une seconde fois.

- Qui est-ce? demanda une voix ; c'était la voix de Maria, il la reconnaissait bien qu'elle eut légèrement changé.

- C'est Tom, répondit-il.

- Tom ? C'est toi Tom ?

La porte s'ouvrit et Maria apparu. Elle avait considérablement vieilli et ses cheveux étaient devenus blancs. Elle eut un mouvement de recul en le voyant nu devant elle.

- Mais monsieur, dit-elle, qui êtes-vous ?

Elle ne le reconnaissait pas.

- Je suis Tom, dit-il. Je suis Tom mais j'ai vieilli moi aussi, et j'ai grandi ...

- Habillez vous, dit elle, et elle arracha un couvre lit de dessus un canapé et le lui tendit. Couvrez vous !

Tom prit le couvre lit qu'elle lui tendait et s'en entoura les épaules en le refermant devant son ventre.

- Je suis Tom, reprit-il, mais il y a si longtemps ...

- Tu avais disparu dit Maria ; tu avais disparu depuis si longtemps, que s'est-il donc passé ?

- C'est une histoire incroyable dit Tom. Dire ce qui s'est passé je ne saurais pas vraiment le dire, je crois que je ne le comprends pas moi même, mais c'est moi Maria, c'est moi, Tom.

Il entreprit de lui raconter, mais bien sûr elle le regardait sans comprendre.

- Ça a été terrible dit Maria. J'ai été mise en cause après ta disparition. Il y a eu une plainte pour enlèvement et puis on m'a accusée de t'avoir fait subir de mauvais traitements, de m'être mal occupée de toi. Je n'ai plus eu le droit d'accueillir d'autres enfants comme toi. Depuis ce jour ma vie est devenue vide, vide de sens et avec en plus ce remord qui m'a poursuivie depuis des années d'avoir mal fait quelque chose... mais que s'est-il passé Tom, que s'est-il passé ?

Tom la regardait sans pouvoir lui répondre.

- Il y a plus de vingt ans Tom, plus de vingt ans que tu as disparu ! Où étais-tu ? Où étais-tu pendant toutes ces années ?

Vingt ans, pensa Tom, vingt ans se sont passés ...

- Maria, dit-il, je ne suis pas parti, je n'ai pas disparu ; c'est seulement quelque chose d'étrange qui s'est passé, je ne le comprends pas moi-même.

Comme elle a dû souffrir, pensait-il ; comme elle a dû être malheureuse ...

Alors que dans le passé il avait toujours cherché à lui échapper, toujours cherché à profiter de moments de liberté, là il se sentait porté vers elle par un grand sentiment de tendresse, il avait envie de la serrer dans ses bras.

Il s'approcha d'elle mais elle le repoussa ...

- Arrête Tom, qu'est-ce qui te prend ? Dit-elle.

Elle avait l'air complêtement affolée.

- Maria, dit-il, ce qui est arrivé est une chose extraordinaire, inexplicable, quelque chose de magique ! Il faut que tu viennes avec moi !

Il lui prit la main et l'entraîna derrière lui. Il courait en la tirant et elle avait du mal à le suivre. Ils couraient tous les deux sous la pleine lune qui souriait en éclairant leurs pas. Ils dévalèrent ainsi, lui tirant et elle suivant malgré elle, le chemin qui descendait à la rivière. Quand ils arrivèrent au bord on distinguait à peine l'eau qui se faufilait à l'ombre des arbres. Même avec la pleine lune il n'y avait pas assez de lumière pour bien y voir, mais Tom savait que la rivière était là. Il le savait comme s'il en avait fait partie.

- Viens Maria, dit-il, viens et déhabille toi, enlève tes habits.

Elle le regardait avec étonnement, elle ne comprenait pas. Alors il entreprit lui-même de la déshabiller, il lui retira ses vêtements l'un après l'autre, faisant avec elle comme un adulte aurait fait avec un enfant.

Il la déshabilla, la serra contre lui et il sauta dans la rivière en la tenant dans ses bras.

 

 

 

27/12/2017

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