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24/06/2005

Chère Isabelle, 2

(Suite)

2


Le lendemain, quand il se réveilla, la première chose qu'il fit fut de téléphoner à Isabelle, mais son téléphone n'était toujours pas branché. Il se demanda alors par quoi il allait commencer ; il était dans le vague mais il savait que dans ces cas là il fallait monter marche après marche sans forcément savoir où on allait et il avait l'habitude de compter sur l'improvisation. Il se fit un café pour se donner le temps de réfléchir et pensa soudain à Madeleine Restoux, cette femme qu'il avait rencontrée sur l'autoroute et qui l'avait invité à passer la voir. Après tout, Saint-Jean-Du-Var n'était pas loin et s'il cherchait des gens pour l'aider, autant commencer par elle qui était là lors de la disparition d'Isabelle. Elle avait l'air très cordiale et saurait probablement être de bon conseil. Finalement il avait assez peu d'amis dans la région et les quelques personnes qu'il fréquentait avec son épouse étaient plus des relations mondaines que de véritables proches. Il n'avait pas envie de mêler ces gens là à son affaire et savait que leurs questions viendraient bien assez tôt quand ils apprendraient par la presse ce qui était arrivé.
La journée était belle et promettait encore d'être chaude. Traversant Nice en direction de Cannes il tomba tout de suite dans une circulation dense comme il en avait connu quand il habitait Paris et eut le sentiment horrible, qu'il n'avait pas ressenti depuis des années, du temps qui s'enfuyait de manière inexorable. Ces moments de vie, ces moments dans la recherche d'Isabelle lui étaient volés par des dizaines de voitures qui se bloquaient l'une l'autre et il sentit monter en lui de la colère, le genre de colère qui l'avait amené à quitter Paris.
Des années auparavant c'était un être violent, irascible, qui ne tolérait aucune contrariété. Il travaillait dans un très grand groupe industriel ayant des ramifications internationales qui pouvait lui permettre un développement de carrière prodigieux. Il était dévoré d'ambition et n'existait que pour son emploi dans lequel il s'investissait plus que de raison. Les journées au sein de son entreprise se passaient en conflits de pouvoir, en recherche de responsabilité quand des erreurs avaient été faites, en luttes pour imposer des points de vue à des collègues aussi ambitieux que lui et qui voulaient prescrire leurs solutions. Quand il rentrait de son travail il ramenait avec lui toutes les tensions qu'il avait accumulées dans la journée et se disputait souvent avec son épouse dont il ne supportait pas la moindre réflexion. Un jour, après une querelle plus forte que les autres elle était partie en claquant la porte et n'était pas revenue pendant près de trois mois. Il en avait été désespéré et avait entamé une psychothérapie. Quand devant ses efforts Isabelle avait accepté de revenir ils avaient décidé de quitter Paris pour la province afin de mener une vie plus calme et il avait trouvé ce poste de direction dans une fonderie des environs de Belfort. Il avait revu à la baisse ses ambitions professionnelles et ils s'étaient installés dans un bonheur bourgeois de province, un peu terne certes, mais paisible. De temps en temps il trouvait l'ennui un peu lourd mais il n'en disait rien par égard pour Isabelle. Ils avaient cette villa près de Nice où ils essayaient d'aller le plus souvent possible, mais en fait c'était surtout Isabelle qui y séjournait en été. Lui pouvait prendre son mois d'août, quand la fonderie fermait, mais le reste du temps il n'y passait que de courts week-ends. D'ailleurs la villa était un bien que sa femme avait reçu en héritage. Elle y avait passé une partie de son enfance et y était beaucoup plus attachée que lui.
Saint-Jean-Du-Var n'était pas bien loin de Nice et il n'eut pas de mal à trouver le garage dont Madeleine Restoux lui avait parlé. Il s'arrêta en face et attendit un peu. Il ne voyait pas la R 12 beige de son fils et ne savait pas si elle était là. L'établissement était ouvert bien que l'on fut dimanche et l'on voyait un homme en bleu qui était affairé à l'intérieur. Il avait l'air trop jeune pour être son père, peut être était ce un ouvrier ? Ce n'était pas un très grand local, juste un atelier d'artisan mécanicien devant lequel il y avait deux pompes à essence. Sur le fronton du garage il y avait une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « Grand Garage Restoux-Mécanique Générale ».
« Tiens, se dit Pierre Meunier, elle n'a pas gardé le nom de son mari !
Il en était un peu choqué. Il pensait qu'une femme divorcée, tant quelle n'était pas remariée, devait garder le nom de son ancien époux.
Soudain quelqu'un frappa sur la vitre arrière de sa voiture. Il se retourna et vit Madeleine Restoux qui le regardait d'un air étonné.
« Ça alors ! S'exclama-t-elle ; je m'attendais à tout sauf à vous voir !
« Vous me reconnaissez ?Vous m'aviez dit de passer, dit Pierre. Alors je suis passé, il fallait que je vous parle.
« Malgré tout, dit Madeleine, je ne m'attendais pas ! J'ai dit ça... Vous savez, je suis facilement liante, mais malgré tout je ne m'attendais pas à vous voir ! Mais vous êtes là, c'est bien, venez, nous allons boire un café, il n'est que dix heures.
Pierre sortit de sa voiture et s'apprêta à suivre Madeleine.
« Venez, dit elle ; allons au café en face. C'est petit chez mes parents et ma mère est en train de faire son ménage. De plus elle se demanderait qui vous êtes.
Ils s'attablèrent à la terrasse et Madeleine le regarda encore d'un air étonné.
« Vous vous souvenez hier, quand je vous ai dit que ma femme était partie chercher à boire à la station service, dit Pierre ; eh bien je ne l'ai pas retrouvée, je ne sais pas où elle est.
Il raconta toute l'histoire à Madeleine, sa visite à la gendarmerie, ses hésitations à quitter la station-service tant il pensait qu'elle allait resurgir et la décision qu'il avait prise de former une sorte de comité de soutien pour essayer de recueillir des témoignages.
« Voilà, dit Pierre ; en fait je ne connais pas grand monde dans la région, et vous m'avez paru d'une nature généreuse, alors comme vous m'aviez offert de passer...
« Bien sûr, dit Madeleine, bien sûr ; mais concrètement, à part vous aider à coller quelques affiches où à distribuer des tracts, je ne sais pas trop ce que je peux faire. Au moins je peux vous soutenir moralement, vous avez l'air d'être dans un drôle d'état !
« Ce serait déjà ça, dit Pierre ; en fait je suis un peu perdu. Pour tout dire, j'ai l'impression de ne pas être grand chose sans ma femme.
« Vous êtes mariés depuis longtemps ? Demanda Madeleine.
« Plus de vingt cinq ans, dit Pierre ; Nous nous sommes mariés elle venait d'avoir dix huit ans. Nous n'avons pas une grande différence d'âge, mais à l'époque il me semblait qu'elle était beaucoup plus jeune que moi.
« Travaille-t-elle ? Demanda Madeleine.
« Non, plus maintenant ; elle a travaillé, mais cela fait plusieurs années qu'elle a arrêté. Elle était actrice de cinéma ; c'est un métier qui est surtout facile quand on est jeune. Cela faisait plusieurs années qu'elle n'avait pas eu de rôle intéressant, et puis je dois dire que moi aussi je préférais qu'elle arrête.
« Est-ce que ça pourrait être une piste à explorer ? Pourrait elle être partie avec quelqu'un de ce milieu ? Excusez moi, mais je vous pose des questions au hasard pour essayer de comprendre.
« Même si elle avait eu un amant, ça ne se serait pas passé comme cela, elle serait partie de la maison, ou de notre villa de Nice, mais là, nous étions arrêtés tout à fait par hasard ! Souvenez vous !
« Vous vous aimez ? Demanda Madeleine ;
« Bien sûr, dit Pierre, qu'allez vous imaginer ?
Il disait cela comme si l'amour était une chose évidente, installé une fois, installé pour toujours.
« Ce n'est pas évident, dit Madeleine, il y a des tas de gens mariés qui ne s'aiment pas ; ou qui ne s'aiment plus, ou pas assez !
« Cela va bien, nous n'avons pas beaucoup de disputes.
« S'il suffisait de ne pas se disputer pour s'aimer ! La vie serait plus belle qu'elle ne l'est ! S'exclama la jeune femme. Vous faites souvent l'amour ?
Pierre ne répondit pas, il était choqué de la question de Madeleine et son amour-propre lui interdisait de répondre à ce genre de question.
« Qu'est ce qui se passe ? Vous êtes en train de compter ou vous ne vous rappelez plus ? Madeleine avait ton sarcastique ; vous voyez que ce n'est pas si simple!
« Écoutez, dit Pierre, bien sur que ce n'est pas comme au début, tout le monde peut comprendre cela, nous n'avons plus vingt ans,
« Combien alors ? Demanda Madeleine.
Pierre ne répondit toujours pas.
« C'est plus grave que je ne pensais, dit la jeune femme.
« Je l'aime, dit Pierre, mais évidement ce n'est plus comme avant ; nous avons eu une crise grave il y a trois ans. Nous avons failli divorcer ; cela m'a amené à changer d'emploi et nous a fait venir à Belfort. J'étais trop accaparé par mon travail, je ne m'occupais plus d'elle. Elle est partie trois mois. J'ai tout fait pour qu'elle revienne ; Je ne faisais pas attention à elle mais quand elle est partie j'ai réalisé l'importance qu'elle avait. J'ai suivi une psychothérapie et j'ai vraiment fait des efforts. Elle est revenue mais c'est vrai que les choses n'ont plus été comme avant. Une certaine froideur s'était installée entre nous, nous n'avions plus l'enthousiasme du début. Je crois que la froideur venait de sa part, tandis que moi j'avais tellement peur de la perdre que je n'osais plus être naturel. Par contre je suis sûr qu'elle n'a aucune autre relation. Je m'en serais rendu compte. En choisissant mon nouveau travail j'ai bien pris garde à trouver une place où je ne sois pas obligé de m'absenter régulièrement et je ne sors jamais sans elle ni elle sans moi.
Pierre s'arrêta un instant de parler pour réfléchir. Madeleine, qui l'avait écouté sans rien dire, écrasa sur le trottoir la cigarette qu'elle était en train de fumer.
« Vous avez changé d'emploi pour elle ? S'étonna-t-elle ; ça je doit dire que c'est vraiment rare ! En général les hommes préfèrent renoncer à tout plutôt qu'à leur carrière !
« Ce n'est pas elle qui est partie, il doit y avoir une autre explication reprit Pierre ; Je ne vois qu'un enlèvement ou un crime crapuleux. C'est quelqu'un de très équilibré, elle n'aurait pas fait une fugue comme ça sur un coup de tête. Et pour aller où ? Et avec quel argent ?
« Ça ne change rien de toutes façons, dit Madeleine. Ce que vous voulez c'est la retrouver, donc il faut parler de ce que nous pouvons essayer de faire.
« Demain je vais aller voir un imprimeur et je vais faire faire des affiches avec son portrait.
« C'est bien, dit Madeleine, mais pour diffuser des affiches il faut beaucoup de gens, ou bien beaucoup de temps. Avez vous suffisamment d'argent pour payer des colleurs d'affiches ?
« Ça peut aller, dit Pierre, il n'y aura pas de problème.
« Dans un premier temps, reprit Madeleine, il faut organiser une conférence de presse avec les journaux de la région. Ce sera plus rapide et vous permettra éventuellement de trouver des gens prêts à vous aider d'une manière ou d'une autre. Et même, si les gens sont déjà un peu au courant par les journaux vos affiches seront mieux acceptées.
« Vous avez raison, dit Pierre.
« Écoutez, dit Madeleine, je connais un journaliste qui travaille au « Midi Libre ». Je vais lui téléphoner pour voir comment nous y prendre. Mais aujourd'hui c'est dimanche, il n'y a rien à faire, vous devriez retourner chez vous et vous reposer. Demain vous vous occuperez des affiches, moi du journaliste et nous ferons le point. Et puis, ajouta-t-elle, peut-être qu'en étant chez vous vous recevrez une bonne nouvelle !
Ils échangèrent leurs numéros de téléphone et Pierre remonta dans sa Mercedes.
« Je suis bête, pensa Pierre, après avoir roulé quelques centaines de mètres. Je viens lui demander son aide, elle accepte, me donne des idées, et je ne lui ai même pas posé une question sur elle, je ne sais même pas ce qu'elle fait dans la vie.
Il pensa qu'elle allait le trouver égoïste et eut envie de faire demi-tour pour s'excuser, mais il jugea qu'il aurait l'air ridicule et ce fut cette idée qui l'emporta.
Il était près de midi, le soleil était beau et un petit vent rafraîchissant agitait les feuilles des arbres. Pierre eut envie d'aller se promener, déjeuner quelque part sur la côte dans une paillote. Il n'avait pas envie de retourner chez lui à attendre il ne savait quoi. Si par miracle Isabelle refaisait surface et réapparaissait dans la maison elle pourrait toujours l'appeler sur son portable, mais de toutes façons Pierre ne croyais guère à cette hypothèse. Il était certain qu'elle devait être quelque part retenue contre son gré, enfermée, attachée peut être ou même qui sait, morte ? Tout était dans l'ordre du possible et à envisager toutes les possibilités, Pierre qui finissait toujours par en revenir aux pires préférait en fin de compte tout chasser de son esprit et essayer de faire le vide, un vide qui ressemblait au petit vent léger qui lui passait dans les cheveux.
De Saint-Jean jusqu'à la côte, il n'y avait que quelques kilomètres et la route qui descendait tout le long du chemin était facile à faire en voiture. Ce fut donc lentement et presque en roue libre qu'il se rendit dans un petit restaurant qu'il connaissait au bord de la plage et où il allait parfois avec Isabelle. En le voyant arriver, le patron, qui le connaissait de vue depuis des années qu'il venait là discrètement, lui souhaita la bienvenue et lui demanda des nouvelles de sa femme. Pierre regretta aussitôt d'être venu dans cet endroit et répondit simplement qu'elle était souffrante et ne pouvait pas sortir.
Il était plein de sentiments contradictoires : en même temps il voulait ameuter la terre entière à la recherche d'Isabelle et était gêné à l'idée d'en parler. Il avait l'impression que chaque mot qu'il dirait dans ce sens rendrait plus solide sa disparition et voulait croire que ce n'était qu'un mauvais rêve dont il finirait bien par se réveiller.
Il commanda un plat du jour, mais quand il fut servi il se rendit compte qu'en fait il n'avait pas faim bien qu'il n'eut pas mangé depuis la veille. L'odeur, la vue même des aliments l'écœurait et il repoussa son assiette. Le serveur qui passait à ce moment là s'inquiéta de la qualité du plat mais Pierre le rassura en lui expliquant que c'était lui qui ne se sentait pas très bien. Il paya et descendit faire quelques pas dans le sable, puis il s'assit à même le sol. Son costume, ses chaussures de ville ne se prêtaient pas bien à cette situation et il avait l'air un peu ridicule dans cette tenue au milieu de tous ces gens en maillot avec leur confort balnéaire. Un plagiste vint lui proposer un transat qu'il accepta et il se sentit un peu mieux. Il retira ses chaussures et le haut de ses vêtements et se laissa aller en fermant les yeux. Mais ainsi, sous le voile rouge de ses paupières derrière lesquelles brûlait le soleil le silence devint assourdissant. Il était incapable de se reposer, de fermer son esprit à cette absence qu'il ne pouvait accepter et se dit soudain qu'il comprenait ceux qui se réfugiaient dans l'ivresse de l'alcool. Mais Pierre n'avait jamais bu et ne pouvait pas imaginer de commencer aujourd'hui.
Soudain il fut mouillé d'eau froide et il se redressa en sursaut : deux enfants qui jouaient trop près de lui à s'asperger d'eau de mer s'enfuirent, penauds de leur maladresse. De les voir courir ainsi il eut envie de rire. Dans la seconde qui suivit il fut presque honteux de cette gaieté spontanée. Il se demanda si sa conduite était bien normale. Un autre, supposait-il, aurait téléphoné partout, à la famille et aux amis, pour faire part de son malheur et de son désarroi. Pierre, lui, voulait tout garder comme son bien - ou son mal - personnel. Son bonheur, qu'il n'avait jamais supporté d'étaler quand il en avait eu et aussi sa douleur que, bien qu'elle le brûlât atrocement, il ne voulait pas laisser voir. Tout au long de sa vie il avait appris à se composer un visage de cire qui ne laissait jamais percer ses émotions. Il se savait faible et ne voulait laisser paraître aucune faille qui put donner prise à qui que ce soit. Il avait un certain mépris pour tous ces gens qui s'imaginaient que leurs sentiments étaient plus forts parce qu'ils étaient voyants. En fait il comptait toujours un peu être compris sans avoir à s'exprimer.
Il eut le sentiment d'être englué sur cette plage et se releva pour marcher. Ses pas le ramenèrent à sa voiture et sa voiture sur l'autoroute. Il ne savait pas où il allait mais eut envie de faire une pointe de vitesse. La Mercedes roulait bien et il dépassa rapidement le cent-cinquante. Il avalait les kilomètres et doublait tout ce qui se trouvait devant lui. Il ressentit une griserie de toute puissance l'envahir et se sentit possédé par un autre Pierre qui cherchait de temps en temps à resurgir et qu'il pensait avoir maîtrisé. Subitement il vit des véhicules venant en sens inverse qui lui faisaient des appels de phares. Il avait à peine eu le temps de ralentir pour redescendre à une vitesse normale qu'il passa devant un radar.
« Heureusement, pensa-t-il ; ce n'est pas vraiment le jour de collectionner les ennuis. Il fit demi-tour et ne sachant où aller décida de retourner dans la villa de Nice.
Il se mit à haïr les dimanches où tout était fermé de ce qui peut être fonctionnel. Seuls étaient ouverts les lieux de loisir comme les restaurants, les cinémas, les bars. Mais pour lui qui attendait après un imprimeur, un journaliste, une gendarmerie, le dimanche était une journée morte et inutile. Il réessaya de téléphoner à Isabelle, mais cela ne donnait toujours rien. Il se rendait compte qu'il n'y aurait aucune piste de ce côté là, qu'il ne serait pas possible de localiser sa femme grâce au téléphone. Que pouvait elle devenir maintenant ? La question repassait sans cesse dans son esprit et il était incapable de choisir une réponse. Il eut envie de retourner voir le psychothérapeute qui l'avait aidé trois ans auparavant, mais c'était impossible, tout au moins comme une satisfaction immédiate, car celui-ci était installé à Paris. En fait, Pierre se rendit compte qu'il avait besoin d'un refuge, d'une protection, d'un lien à quelque chose et que par dessus tout il ne supportait pas la solitude. Soudain il eut une inspiration, comme un grand souffle qui entrait en lui, et il téléphona à Madeleine Restoux.
« C'est Pierre Meunier, s'annonça-t-il lorsqu'elle décrocha. Il y a quelque chose que j'ai oublié de vous demander tout à l'heure et que je voudrais savoir, quelle est votre profession, si vous en avez une ?
Elle fit un étrange petit bruit de gorge qui lui fit comprendre qu'elle était amusée.
« C'est drôle que vous me demandiez cela, répondit elle ; Est ce que c'est important ?
« Important non, répondit Pierre, mais tout à l'heure quand je suis parti je me suis reproché de ne pas vous avoir posé cette question. En fait tout le monde s'identifie plus ou moins à son activité professionnelle et à part leur vie privée et intime sur laquelle les gens se taisent généralement, leur métier est souvent le sujet sur lequel ils ont le plus de choses à dire et qui leur tient le plus à cœur.
« Et que pensez vous des gens qui ne travaillent pas ? Demanda Madeleine Restoux ; ont-ils grâce à vos yeux ?
« Bien sûr répondit Pierre, mais il faut de l'argent pour vivre et comme vous ne m'avez pas l'air extrêmement riche et que d'autre part vous m'avez dit que vous étiez divorcée, j'en conclu que vous travaillez.
« Vous avez raison, dit elle. Je travaille, mais seulement quand ça m'arrange et pas à longueur de semaine. Disons que je suis un peu paresseuse, seulement un tout petit peu. En fait je suis juste assez paresseuse pour ne pas travailler soixante heures par semaine. Mais de toutes façons, je pourrai bien travailler deux fois plus, cela ne me rapporterait rien en termes d'argent. Vous avez raison de dire que je ne suis pas extrêmement riche.
Pierre n'était pas plus avancé par ce langage sibyllin.
« Ça doit être un drôle de métier que vous faites, s'il ne paye pas votre travail! Dit-il.
« Vous pouvez le dire que c'est un drôle de métier dit la jeune femme. Mais il arrive quand même que ça rapporte un peu, de temps en temps. En fait je suis artiste peintre ; alors je gagne de l'argent quand je fais des expositions et que je vend des tableaux.
Pierre était surpris, il s'attendait à tout sauf à ça.
« Et que peignez vous ? Demanda-t-il, des bouquets de fleurs, des natures mortes ?
« Alors comme je suis une femme, je dois forcément peindre des fleurs et être gnan-gnan ?
« Non, ce n'est pas ce que je veux dire, essaya de se rattraper Pierre. Je n'y connais pas grand chose, disons que les bouquets de fleurs et les paysages sont la seule chose que je suis capable de reconnaître quand je vois un tableau.
« Alors vous seriez surpris, dit Madeleine ; en fait je fais de la peinture très moderne, de l'abstrait, pour simplifier.
« Ça doit être très bien aussi, s'enfonça Pierre.
« Vous savez, dit Madeleine, il ne faut pas parler de ce qu'on ne voit pas, particulièrement en peinture.
Il y eut une pose de quelques secondes et Madeleine reprit la parole :
« Comment s'est passée votre journée ?
« Je tourne en rond, dit Pierre. Je tourne en rond et je ne sais pas quoi faire. J'ai l'impression d'un vide que rien ne saurait combler. Je ne sais pas comment m'occuper en attendant demain.
« Si vous voulez venir ici, dit la jeune femme, je peux avoir quelque chose à vous proposer ; mais il faut que vous n'ayez pas peur de vous salir.
« De quoi s'agit-il ? demanda Pierre, je suis en costume.
« Un costume ça s'enlève, dit Madeleine, je vous prêterai une cotte . En fait je suis en train de donner un coup de main à mon frère qui tient le garage ; il y a quelques voitures à laver et comme il est seul le week-end il n'y arrive pas.
« Je suis votre homme, répondit il ; vous me surprenez sans cesse, mais tout vaut mieux que continuer la journée comme je l'ai commencée.
« Nous pourrons aussi parler de votre histoire, dit-elle ; en discutant avec mon frère quelques idées me sont venues.
Pierre fit rapidement la route qui le séparait de Saint Jean du Var. Il était heureux d'avoir trouvé une occupation pour tromper son ennui. Il ne se serait jamais imaginé capable de laver un jour une automobile dans un garage, mais il était prêt à tout pour fuir les pensées qui lui dévoraient l'esprit.
Une petite sonnerie stridente venant de son téléphone portable lui fit comprendre que la batterie était vide. En se couchant, la veille, il avait oublié de le brancher sur le chargeur.
« Zut ! Se dit-il ; si on m'appelle je ne pourrai pas le savoir.
Et quand il pensait « on » il pensait Isabelle, mais par superstition, peut-être, il voulait laisser cette chance vierge et préférait s'imaginer que quelqu'un d'autre chercherait à lui parler d'elle. Il hésita du coup à aller chez Madeleine Restoux, comme il était sur le point de le faire. Il eut envie de retourner chez lui, rien que pour prendre son chargeur, mais le chemin était assez long car il fallait traverser tout Nice et il ne pouvait pas non plus la prévenir. D'ailleurs il était presque arrivé, et il la vit tout de suite, en bleu de travail et en botte qui tenait un tuyaux d'arrosage à la main et était en train de rincer copieusement un gros break.
« Ne vous approchez pas trop près, dit-elle en riant quand il fut descendu de sa Mercedes. En fait il n'y en a plus qu'une après celle-ci. Allez vous changer, je vous ai préparé une combinaison, fit-elle en lui indiquant une porte entrouverte qui devait être celle d'une sorte de vestiaire. Vous tiendrez le tuyau pendant que je frotterai, mais essayez quand même de ne pas trop m'arroser !
Le vestiaire était un petit local en parpaings qui avaient été directement recouverts de peinture blanche sans avoir été enduits au préalable. Il y avait deux armoires de tôle et une seconde porte qui ouvrait sur les toilettes. Un bleu propre et une paire de bottes en caoutchouc étaient posés sur une table de formica.
« Pour la cotte cela devrait aller, lui cria Madeleine depuis la rue, mais pour les bottes je ne savais pas, du combien chaussez vous ?
« Du 44, répondit Pierre, cela devrait aller ;
En disant cela il hésitait à les enfiler car il n'avait jamais encore mis les chaussures de quelqu'un d'autre et éprouvait une sorte de répugnance. Il le fit pourtant, moitié par fatalisme, moitié par peur du ridicule, mais fit ses premiers pas en gardant les doigts de pieds recroquevillés à l'intérieur. Il se regarda en passant devant le miroir du lavabo et trouva qu'accoutré ainsi il ressemblait à l'un de ses ouvriers.
« Qu'est-ce-que je suis en train de faire, pensa-t-il, si on me voyait ainsi !
Habituellement Pierre ne faisait jamais ce genre de besogne ; Pour sa voiture il y avait toujours un membre de l'équipe d'entretien de l'usine qu'il pouvait charger de ces corvées et il n'avait jamais considéré que c'était une manière agréable de passer ses week-end. Il rejoignit Madeleine et prit le tuyau comme elle le lui avait demandé. Elle frottait fort, sans rechigner, et il avait l'impression qu'elle prenait une sorte de plaisir à s'acharner ainsi sur les moindres salissures qu'elle trouvait sur l'auto. Il le lui fit remarquer car pour sa part il ne pouvait trouver aucune sorte de plaisir à faire ce genre de choses.
« J'essaie de trouver du plaisir dans tout ce que je fais, répondit-elle, surtout les choses les plus humbles qui ne présentent aucune difficulté. C'est plus une question philosophique que l'orgueil du travail noble ou je ne sais quoi.
« Ça doit être votre nature d'artiste, dit Pierre.
« Peut-être bien que vous avez raison, dit Madeleine, quoi qu'il en soit, je ne fais jamais rien que j'aie envie de refuser, je reste toujours libre de choisir. Dans ces conditions il n'est pas difficile de rester de bonne humeur !
« Votre fils n'est pas resté avec vous ? Demanda Pierre.
« Il est reparti ce matin, comme prévu. Ça ne l'intéresse pas tellement de passer ses vacances avec sa mère. Vous avez des enfants ?
« Deux garçons, répondit Pierre ; C'est pareil, ils sont en vacances en Grèce avec leurs fiancées.
« Vous les avez mis au courant ? Demanda Madeleine.
« Pas encore, Ils font du camping, ce n'est pas facile de les joindre ; et puis j'ai préféré attendre un peu pour être sûr. Si jamais Isabelle reparaissait aujourd'hui ou demain en me disant qu'elle avait eu envie d'aller se promener, ça ne serait pas la peine de les inquiéter pour rien.
« Vous commencez à croire cela ?
« Pas vraiment, dit Pierre, c'est juste une manière de parler.
« Vous n'avez encore prévenu personne de votre entourage ?
« Non, voyez vous, si je le fait j'ai l'impression que la disparition d'Isabelle va devenir définitive. En plus je vais être entouré de gens qui s'inquiètent et qui, sous prétexte de me soutenir, passeront leur temps à m'appeler pour m'exprimer leur inquiétude, et en fait ce sera à moi de les soutenir.
Il y eut un silence de quelques minutes au bout duquel Pierre reprit la parole :
« Vous savez, dit-il, je n'ai encore jamais fait ce que vous me faites faire.
« Je sais bien, répondit Madeleine. En fait, en laveur de voitures vous n'avez pas vraiment la tête de l'emploi. Je ne me moque pas de vous, mais je trouve cela assez amusant.
« J'ai l'impression de ne pas être moi-même, dit Pierre.
« Sûrement, dit Madeleine. Je me mets à votre place, mais vous savez, quand on est très angoissé, faire de petites tâches physiques qui ne demandent pas de réflexion, comme la vaisselle ou le ménage, fait du bien. C'est pour cela que beaucoup de femmes insatisfaites par leur vie trouvent un refuge dans ces choses là.
« Êtes vous vous-même insatisfaite ? Demanda Pierre.
« Non, je me débrouille bien, mais de temps en temps j'ai peur du vide comme tout le monde.
« C'est drôle comme vous parlez facilement de toutes ces choses là.
« Vous trouvez ? Parler ça libère, ça aide à penser, ça renforce. Beaucoup de gens se referment sur eux-même pour se protéger, mais il ne comprennent pas que plus ils se renferment plus ils sont fragiles.
Il y eut encore un silence.
« Parlez moi de votre femme, reprit Madeleine.
« Que vous dire, répondit Pierre après un instant. Elle est belle, intelligente et douce. C'est une femme parfaite ; elle est élégante, prend toujours soin d'elle même et ne se laisse jamais aller.
« Que fait elle quand vous n'êtes pas là, quand vous êtes à votre travail ? Continua Madeleine.
Pierre réfléchit un instant.
« Je ne sais pas, dit-il. Je suppose qu'elle s'occupe de la maison, qu'elle fait ce qu'elle a à faire et qu'elle regarde un peu la télévision...
« Vous ne lui demandez jamais quand vous rentrez ? Demanda la jeune femme.
« Si, bien sûr, nous parlons de choses et d'autres, elle me raconte sa journée, mais je n'ai pas l'impression qu'elle fasse quelque chose de particulier.
« A-t-elle beaucoup d'amis ?
« Non, pas vraiment ; Nous ne connaissons pas grand monde, nous ne sortons pas souvent. Nous sommes invités de temps en temps parce que je suis directeur de la Sofobel, mais globalement Belfort est une ville assez ennuyeuse. Nous sortions plus quand nous habitions Paris.
« Vous êtes vraiment venus vous enterrer, dit Madeleine.
« C'est elle qui a voulu que nous venions habiter en province. Je dois dire qu'à Paris ce n'était plus possible. J'étais de plus en plus stressé par mon travail et nous allions à la catastrophe.
« N'a-t-elle pas gardé des relations personnelles de son ancien métier, quand elle était actrice ?
Pierre lui fut gré de se rappeler qu'il lui avait dit cela quelques heures plus tôt.
« C'est un milieu où les gens sont surtout préoccupés d'eux même. Dès qu'on ne vous voit plus on vous oublie.
« Je ne me souviens pas l'avoir vue au cinéma, dit Madeleine.
« Elle n'a jamais eu de grands rôles dans de grands films, dit Pierre. Il aurait peut être fallu qu'elle s'y consacre plus, mais nous avons eu des enfants et ils ont pris le pas sur sa carrière.
« Vous disputiez vous souvent ? Demanda Madeleine.
« Non, plus maintenant, répondit Pierre ; avant oui, quand nous habitions Paris. C'est d'ailleurs pour cela qu'une fois elle est partie pendant trois mois.
« Et où était elle partie ?
« Dans notre villa de Nice. Oh, elle n'était pas bien loin, je lui téléphonais, j'ai même fait la route plusieurs fois, mais je crois que si je n'avais pas changé de travail elle ne serait jamais revenue.
« Avait elle beaucoup de choses à vous reprocher ?
« Je ne sais pas, dit Pierre ; oui, je crois, je n'en sais rien. Pas des choses matérielles, mais j'étais irascible, je ne pensais qu'à mon boulot, je l'étouffais. Le jour où elle est partie je n'ai rien compris ; elle s'est mise à crier quelque chose comme : « J'existe moi aussi, j'existe ! » et elle est partie en claquant la porte. Elle n'avait jamais fait une chose pareille. Sur le coup j'étais furieux de son attitude. Et puis au bout d'un moment, quand j'ai vu qu'elle ne revenait pas j'ai commencé à paniquer. J'ai téléphoné à tous les gens chez qui elle pouvait aller, mais personne ne l'avait vue. En fait elle s'était directement rendue à la gare de lyon et avait pris le train pour Nice, un train qui arrivait le lendemain matin. Il m'a fallu huit jours pour comprendre qu'elle était peut être là bas. Huit jours d'une angoisse terrible où j'étais décomposé, liquéfié. Je passais mon temps à imaginer le moment où elle allait revenir, où j'allais de nouveau la serrer dans mes bras. Vous ne pouvez pas savoir, j'étais comme fou, et en même temps j'étais persuadé que je ne la reverrais jamais plus. J'imaginais tous les baisers que je ne lui avais pas donnés et que maintenant je voulais lui faire, toutes les caresses dont je m'accusais d'avoir été avare. Il y avait en moi une chose terrible et inconnue qui avait besoin d'elle et se réveillait sous ma peau. Au bout d'une semaine j'ai eu l'idée d'appeler à la villa et elle y était. Mais elle ne voulait plus me voir, elle ne voulait pas que je vienne la chercher. Pendant trois mois j'ai cru que j'allais mourir tous les jours. Je passais mon temps à regarder la porte en espérant la voir s'ouvrir, je guettais par la fenêtre, dans la rue j'imaginais à tout moment que j'allais voir son visage se détacher dans la foule. Les enfants sont partis habiter quelques temps chez les parents d'Isabelle qui vivent à Paris eux aussi. Je n'étais pas capable de m'en occuper. Au bout d'un mois j'allais si mal que j'avais perdu ma place. Du jour au lendemain je ne m'étais plus soucié de mon travail, j'avais raté des rendez-vous importants et fait capoter des affaires en route depuis longtemps. On m'a offert de démissionner avec une indemnité confortable. C'était terrible, c'était l'enfer. Quand je lui téléphonais elle me raccrochait au nez et m'interdisait de venir. J'ai commencé une psychothérapie et puis au bout du compte elle a changé d'avis. J'étais vidé. J'avais perdu toute cette agressivité qui s'exprimait dans mon travail et je lui ai promis que rien ne serait plus comme avant. Nous avons décidé de quitter Paris et j'ai cherché une place en province dans une PME. J'ai trouvé Belfort. Vous avez raison, c'était un peu un enterrement.
« Et maintenant, est-ce pareil ? Demanda Madeleine.
« Je ne sais pas, c'est différent, elle n'est pas partie, elle a disparu, et seulement depuis hier ; mais si je ne la retrouve pas rapidement il se peut, en effet, que je retrouve cet espèce d'état de folie dépressive où j'étais plongé.
« Est-elle belle ? Demanda Madeleine.
« Oui, bien sûr, mais beaucoup de femmes le sont. Ce qu'il y a c'est que pendant cette période je me suis rendu compte que chaque millimètre carré de sa peau était extraordinaire, que j'aimais tout chez elle, ses yeux, ses lèvres, sa nuque, la peau de son ventre ou de son dos. Et avant cela je ne l'avais jamais ressenti ainsi.
« Eh oui, dit Madeleine Restoux, l'amour c'est souvent comme le poker : gagnant ou perdant, il faut payer pour voir.
Pendant qu'il parlait ainsi, Madeleine avait fini de laver la voiture. Pierre n'avait pas fait grand chose, à part tenir son tuyau, mais il était aussi exténué que si c'était lui qui avait tenu l'éponge. Madeleine retira ses gants et montrant le jet dit à Pierre:
« Posez moi ça et allons nous changer.
Ils se dirigèrent vers le vestiaire et, y entrant la première, la jeune femme lui referma la porte au nez.
« Prem's, dit-elle, attendez là, je passe la première.
Pierre se retrouva confus devant la porte, se demandant comment il n'avait pas pensé de lui même à cette chose là. Mais Madeleine était une femme qui ne s'embarrassait pas de principes et remettait vite les choses à leur place.
« Tenez, dit-elle en ressortant, venez vous changer, pendant ce temps là je vais essayer de téléphoner à mon ami journaliste, voir s'il est rentré.
Dans le vestiaire, en se déshabillant, Pierre se demanda comment il en était arrivé là. Il avait l'habitude de tout contrôler et là, subitement, il était devenu le jouet d'un flux d'événements qui se succédaient et s'enchaînaient sans qu'il s'en rendit compte. Il se trouvait amené à faire des choses qu'il n'avait jamais faites, sans s'en défendre ni s'en étonner. Madeleine lui faisait un drôle d'effet. Il avait l'impression que derrière un abord facile c'était quelqu'un qui savait manipuler les gens et que sa gaieté et sa cordialité cachaient une force de caractère peu commune. Il repensa à la manière fortuite et saugrenue dont ils s'étaient rencontrés, au mauvais effet qu'elle lui avait fait au début, puis comment petit à petit il s'était laissé gagner par la confiance, jusqu'à se retrouver là, en train de se déshabiller dans un mauvais vestiaire qui sentait le savon gris après avoir lavé une voiture dans un garage.
Un moment il se demanda si elle pouvait être pour quelque chose dans la disparition d'Isabelle, si leur rencontre avait été tout à fait liée au hasard où si au contraire il pouvait y avoir une machination. Puis il repoussa cette idée avec horreur, se mortifiant d'y avoir pensé. Après tout, c'est de lui même qu'il était venu la trouver ce matin et s'il n'y avait pas pensé personne n'aurait pu l'y obliger. Ensuite il se souvint qu'un ami de Paris lui avait dit une fois que les psychologues avaient fait tellement de progrès qu'il existait des techniques de manipulation mentale à distance. A l'époque il avait haussé les épaules, mais maintenant ces mots lui revenaient et il se mettait à douter de tout. Quand il ressortit du vestiaire il n'osa pas regarder Madeleine en face.
« Je suis fatigué, lui dit-il, je vais rentrer chez moi et me coucher, je crois que c'est la meilleure chose que je puisse faire.
« J'allais vous garder à dîner, lui dit Madeleine. Mais qu'à cela ne tienne, allez y si vous pensez que c'est mieux. Nous nous téléphonerons demain. Je n'ai pas pu avoir mon ami le journaliste, je réessaierai plus tard.
En chemin il essaya de faire le point, mais il était incapable de savoir si les gestes qu'il avait fait étaient meilleurs ou non que d'autres qu'il aurait pu faire et cette idée l'inquiétait. Le matin même il comptait encore sur ses capacité d'improvisation et maintenant il était paniqué à l'idée qu'il ne possédait aucun critère objectif d'appréciation de la valeur de ses choix. En arrivant à la villa il ne trouva rien de changé par rapport à son départ ; la maison était toujours aussi vide, toujours aussi muette, toujours aussi chargée de l'absence d'Isabelle.
« Je ne vais pas pouvoir dormir là, pensa-t-il.
Il s'étonna que la veille cette situation ne l'en ai pas empêché.
« Sans doute était-ce trop frais, ce n'est que maintenant que je réalise.
Il alla dans l'armoire à pharmacie de la salle de bains et prit deux cachets de somnifère. Quand quelques minutes après il sentit venir le sommeil il n'avait toujours pas mangé.

(à suivre) 

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