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22/06/2005

Chère Isabelle, 1

Chère Isabelle




1


C'était un après-midi d'été, étouffant comme souvent. Les voitures étaient arrêtées sur l'autoroute, pare-choc contre pare-choc, plus rien ne bougeait. Il y avait des familles avec des enfants et des montagnes de bagages accrochés sur la galerie, des caravanes, des camions, seule de temps en temps quelque moto passait au ralenti sur la voie d'arrêt d'urgence. Des gens étaient descendus de leur voiture pour prendre l'air et essayer de regarder au loin s'ils voyaient quelque chose. Mais on ne voyait rien car à moins d'un kilomètre de là la route escaladait une colline et la vue était bouchée. L'embouteillage allait bien plus loin que ce que l'on voyait et certains partaient à pied rejoindre une station service qui se trouvait à quelques centaines de mètres. Il y avait une enseigne de cafétéria qui dépassait des arbres et ceux qui le pouvaient envoyaient un émissaire aux nouvelles et chercher des rafraîchissements.
« Il doit y avoir un accident, dit quelqu'un.
« Cela fait quarante minutes que ça n'a pas bougé, ajouta un autre ; il y a sûrement quelque chose.
La première personne opina de la tête. C'était un homme dégarni au teint rougeaud et à la figure ronde. Ses yeux bleus et sa moustache roussâtre lui donnaient un aspect flamand et les bras à la peau blanche qui dépassaient de son polo rouge étaient couverts de taches de rousseur.
« Je vais aller aux nouvelles, dit sa femme qui était assise à côté de lui.
Elle était grande et mince ; ses cheveux blonds décolorés étaient si clairs qu'ils viraient presque sur le blanc. Elle avait le visage triangulaire et fin et ses traits bien que nettement dessinés étaient plein de douceur.
« Reste donc là, dit son mari ; ça va bien finir par redémarrer.
Mais elle était déjà dehors.
« J'ai soif, dit elle ; Et puis j'en ai assez de rester coincée là en plein soleil dans l'auto. Si ça démarre tu me prendras en route.
« Quand même, reprit l'homme, il y a la climatisation dans la Mercedes, ce n'est pas la peine d'aller marcher sous le soleil.
Elle s'éloigna sans répondre. Son mari la regarda partir avec un soupir d'énervement et haussa les épaules. Il avait bien envie de lui courir après mais ne pouvait se résoudre à laisser sa voiture seule au milieu de l'embouteillage. Quelqu'un se mit à klaxonner et aussitôt cela dégénéra en un concert collectif.
« Ça ne sert à rien, dit l'homme, ça ne sert à rien !
La porte de la voiture d'à côté s'ouvrit et une femme en sortit, tirant sur sa jupe pour en effacer les plis.
« Ça ne sert à rien, mais ça soulage dit elle. Le plus énervant est d'être obligés de rester là sans rien pouvoir y faire, sans même que ça avance un tout petit peu.
Elle regarda la plaque d'immatriculation de la Mercedes et parut intéressée.
« Tiens, dit-elle, vous aussi vous êtes du territoire de Belfort ?
« Ça ne fait pas très longtemps dit l'homme, avant nous étions en région parisienne, mais je suis venu là pour mon travail.
« Et vous habitez à Belfort même, dit la femme ?
L'homme ne répondit pas. Il regardait la R 12 usée de sa voisine, la queue de raton laveur qui pendait au rétroviseur et le sapin magique qui faisait disparaître les odeurs de cigarette.
« Vous habitez à Belfort même, répéta la femme ?
Cette fois il la regarda dans les yeux. C'était une petite brune décoiffée au visage anguleux. Elle avait de grand cernes sous les yeux mais on voyait qu'elle devait les avoir en permanence. Il regarda dans la voiture et vit que le volant était tenu par un homme d'une vingtaine d'années.
Elle avait suivi son regard.
« C'est mon fils, dit-elle ; c'est sa voiture, il m'emmène dans le midi.
L'homme ne répondait toujours pas.
« Vous n'êtes pas causant tout de même, dit la femme.
« Causer ça ne se dit pas, pensa l'homme.
Il n'avait décidément pas envie de se lier avec sa voisine. Il trouvait qu'il y avait en elle quelque chose de vulgaire et qu'elle manquait de retenue.
« Votre femme vous a laissé tomber, reprit la brune ?
Cette fois ci l'homme fut touché.
« Elle est juste partie chercher à boire, dit-il ; elle va revenir tout de suite.
« Cela fait déjà un moment, reprit-elle. J'ai du thé glacé dans le thermos, vous en voulez un peu ? Jimmy, donne moi un gobelet dit-elle en se retournant vers son fils.
Malgré la climatisation de sa voiture l'homme avait chaud à cause du soleil qui tapait directement sur le pare-brise. Il accepta et le thé, légèrement sucré, lui parut délicieux.
« Elle est gentille, après tout, pensa-t-il.
« Vous allez en vacances ? demanda la femme en regardant à l'intérieur de la Mercedes où l'on ne voyait pas de bagages.
« Nous avons une maison à côté de Nice, répondit-il. Mais nous n'allons pas en vacances, seulement en week-end.
« A ce train là, répondit la femme, il risque d'être court votre week_end !
« A chaque fois c'est pareil, dit l'homme ; En partant de Belfort ça se passe bien mais c'est quand on arrive dans la vallée du Rhône que l'on perd du temps.
« Quand même, reprit la femme ; ça en fait des kilomètres pour un simple week-end !
« En fait, dit l'homme, j'emmène ma femme qui reste pour les vacances, mais moi je rentre demain soir.
On entendit des sirènes qui venaient de l'autre côté de la colline.
« Ce n'est pas trop tôt, dit la petite femme brune, ils vont peut-être bientôt dégager la route!
« Votre mari ne va pas en vacances avec vous ? Demanda l'homme de la Mercedes.
« Plus de mari! Envolé ! Comme votre femme ! Répondit-elle.
« Ma femme n'est pas envolée, dit l'homme ; elle avait juste envie de se dégourdir et de marcher un peu. Quand la circulation va repartir je vais la récupérer à la station service.
« Bien sûr, dit l'autre, je plaisantais ! Mais moi mon mari est parti comme ça, un jour. Il est sorti faire une course et je ne l'ai jamais revu ! Il m'a laissée en plan avec un enfant qui avait dix ans à l'époque et a disparu dans la nature.
« Vous n'avez pas fait faire de recherches ? Demanda l'homme.
« Oh si, bien sûr ! On l'a même retrouvé ! Le problème c'est que maintenant il vit à l'étranger et n'a jamais voulu revenir ! Il m'a laissé la maison à finir de payer, notre fils et adieu ! Nous sommes divorcés depuis cinq ans maintenant, vous savez !
A ce moment on vit les voitures qui précédaient commencer à bouger.
« Tu viens maman, ça démarre, cria le fils depuis l'intérieur de la R12.
« Si vous passez par Saint-Jean-du-Var avec votre épouse, arrêtez vous pour me voir dit la femme avant de remonter dans la voiture. Je m'appelle Madeleine Restoux, je suis en vacances chez mes parents qui tiennent le garage à la sortie de Saint-Jean sur la route de Grasse !
« Drôle de femme, pensa l'homme ; elle ne me connaît même pas et elle m'invite chez elle !
En desserrant son frein à main il mit son clignotant à droite pour se préparer à changer de file et à aller à la station service. La circulation repartait doucement, mais les voitures étaient tellement serrées les unes contre les autres et les conducteurs tellement soucieux de ne pas céder un mètre de place qu'il eut du mal à faire sa manœuvre. Il vit s'éloigner la voiture beige de Madeleine Restoux qui bénéficiait d'une file plus rapide. Enfin il se trouva sur la bonne voie de circulation et roula lentement vers la bretelle de dégagement en regardant de loin s'il voyait sa femme.
« Elle doit être à l'intérieur, pensa-t-il, je vais me garer et descendre moi aussi pour me détendre. Après tout, nous ne sommes plus à quelques minutes près.
La cafétéria était un très grand local avec plusieurs salles séparées. Il y avait un bar en arc de cercle face auquel se trouvait une série de mezzanines surélevées de quelques marches et aussi des distributeurs automatiques de sodas. Il ne vit pas sa femme non plus que dans la boutique attenante où l'on vendait des boissons à emporter, des sandwichs et des gâteaux secs. Il se dirigea vers les toilettes des dames auxquelles on accédait après un grand couloir.
« Isabelle, tu es là ? Appela-t-il ;
Il n'y eut pas de réponse.
« Isabelle ?
Il revint vers le bar en regardant autour de lui pour voir si un endroit ne lui avait pas échappé. La caissière était occupée avec des clients et un serveur coiffé d'un calot de papier était en train de ranger des verres dans le lave-vaisselle. Il y avait très peu de monde dans la cafétéria et aucun endroit où il n'ait déjà regardé. Il ressortit et s'approcha de sa voiture mais sa femme n'était pas là non plus. Il s'éloigna un peu pour aller inspecter la zone de pique-nique avec ses tables de gros bois plantées dans le gazon. Il n'y avait nulle part de trace d'Isabelle. Il commença à être inquiet et revint vers le barman.
« Excusez moi, dit-il ; je suis à la recherche de ma femme, elle devrait être là mais je ne la trouve pas. C'est une femme blonde et mince, habillée en noir et avec des bijoux.
Il cherchait à se rappeler un détail caractéristique qui aurait pu frapper le garçon.
Celui-ci réfléchit quelques secondes.
« Attendez voir, dit-il ; il y avait une femme comme vous dites, mais elle n'était pas seule. Elle était là, au bar, et discutait avec un homme. Ils sont partis il y a cinq minutes ; mais ce n'était peut être pas elle.
« Mais ce n'est pas possible, répondit l'homme qui cherchait sa femme ; elle est entrée là tout à l'heure, pendant que je faisais la queue dans l'embouteillage, il n'y avait personne avec elle !
Il regarda encore sur le parking puis en direction de l'autoroute. La circulation était maintenant redevenue presque normale. Le flot de voitures s'écoulait lentement mais de manière ininterrompue.
« Mon Dieu ! pensa-t-il, qu'est ce qui m'arrive !
Une pensée lui traversa soudain l'esprit. Il sortit son téléphone portable de sa poche et chercha son nom dans le répertoire. Il lança l'appel et attendit quelques secondes, mais il n'y eut pas de sonnerie et il tomba directement sur la messagerie. Le téléphone d'Isabelle n'était sans doute pas branché et il n'avait pas de moyen de la joindre.
Il revint vers la cafétéria et demanda au garçon le numéro de téléphone de la gendarmerie de l'autoroute.
« C'est sérieux ? Demanda le garçon, vous avez vraiment perdu votre femme ?
« Nous étions bloqués dans l'embouteillage à quelques centaines de mètres d'ici et elle est venue à pied chercher à boire. Où voulez vous qu'elle soit passée ? Il y a absolument quelque chose d'anormal !
La caissière et le barman se regardèrent avec un air qui voulait exprimer la compassion. Ils étaient embêtés pour lui mais ne savaient pas comment l'aider.
« Y a pas, dit la caissière, il faut appeler la gendarmerie.
L'homme se sentit soudain très seul. Il était toujours très à l'aise dans son travail, avec des tas de gens sous ses ordres à qui il n'avait qu'à commander, mais dans la vie courante c'est sa femme qui avait l'habitude de s'occuper de tout.
« Donnez moi un café, demanda-t-il au barman pendant que la caissière composait un numéro au téléphone.
Il s'accouda sur le bar et prit sa tête entre ses mains. Il ne pouvait pas s'imaginer ce qui avait pu se passer.
« Vous êtes sûr que vous l'avez vue avec quelqu'un ? demanda-t-il au barman ;
« Je ne sais pas si c'était votre femme, répondit celui ci, mais il y avait une femme blonde habillée en noir et avec des bijoux.
« Avaient ils l'air de se connaître ? demanda l'homme.
« Je ne sais pas, dit le garçon, je n'ai pas bien fait attention, mais c'est sûr qu'ils parlaient ensemble.
La caissière lui tendit le téléphone.
« C'est la gendarmerie, dit elle, expliquez leur !
Le gendarme de service lui dit de passer à son bureau à la sortie d'Orange car il ne pouvait pas prendre de déposition par téléphone.
Il bu son café mais ne pu pas se résoudre à partir ; il avait l'impression qu'elle allait surgir à n'importe quel instant et qu'il n'avait qu'à rester là à l'attendre.
« Avec qui pouvait elle bien être ? Pensa-t-il. Peut-être est ce un ancien amant qu'elle a rencontré ?
Il ne l'avait jamais pensée infidèle mais soudain le doute s'installait.
« Et si elle avait rencontré un ancien amant qu'elle n'ait jamais oublié ? Se pourrait il que pendant toutes ces années elle lui ait menti en lui cachant une double vie ? On disait que dans ces cas là le mari était toujours le dernier informé. Pourtant il n'avait jamais eu l'impression de rien, il n'avait jamais eu de doute. Et si c'était un voyou, un truand qui ait engagé la conversation pour pouvoir l'enlever ensuite ? Il y avait des femmes qui étaient kidnappées comme cela par des réseaux de prostitution ! Mais à son âge ! Elle avait tout de même plus de quarante ans! Même si elle était encore très belle, c'était plutôt les très
jeunes filles un peu paumées qui se faisaient enlever comme cela !
Il paya son café et se décida à partir. La gendarmerie était à une vingtaine de kilomètres. Peut-être qu'en regardant bien sur les bords de l'autoroute il la verrait ou quelque chose qui pourrait lui donner une indication ?
« Bonne chance pour votre femme, lui dit la caissière pendant qu'il sortait.
Il roulait lentement sur la file de droite et regardait le bas-côté. Il cherchait à voir une tache de couleur où n'importe quoi qui pourrait être un signe. Les arbres défilaient sur le bord de la chaussée au milieu de l'herbe sèche et il y avait très peu de bosquets serrés. Rien qui puisse constituer vraiment une cachette, pas de bois où se perdre ; plus en arrière il y avait des champs où le blé venait d'être fauché. Là non plus il n'y avait rien d'anormal, si ce n'est cette absence qui devenait de plus en plus affolante, ce vide qui l'environnait. Les idées tournaient dans sa tête en s'accélérant.
« Qu'est ce qui a pu se passer ? Se répétait il sans cesse.
Finalement il arriva à la gendarmerie. Quand il voulut ouvrir la porte du bâtiment, celle ci était fermée à clefs. Il y avait un écriteau sur la porte : « Sonnez pour appeler. »
« C'est vrai, se dit il ; les gendarmes s'enferment maintenant, ils ont sans doute peur d'être attaqués !
Un homme en uniforme vint lui ouvrir.
« Bonjour dit l'homme qui cherchait sa femme, je vous ai téléphoné tout à l'heure, mon épouse a disparu, je crois qu'elle a été enlevée.
« Entrez, dit le gendarme, nous allons voir ça.
Il passa derrière une sorte de comptoir et s'assit devant un ordinateur.
« Commençons par le début, vous êtes monsieur ?
« Pierre Meunier, répondit l'homme ; et en disant cela il ressentit une sorte de déception. Il s'était attendu à entendre tout de suite les sirènes hurler, à voir les voitures bleu marine partir dans tous les sens à toute vitesse à la recherche d'Isabelle. Au lieu de cela il ne voyait qu'un fonctionnaire tout seul qui s'apprêtait à enregistrer une déclaration. Il déclina son identité et celle d'Isabelle et raconta par le détail ce qui s'était passé. Il avait tendance à répéter plusieurs fois ce qui lui paraissait être des indices important, comme la présence d'un homme à la cafétéria qui avait parlé avec elle, mais il se rendit soudain compte qu'il n'avait même pas songé à demander au barman à quoi ressemblait cet homme.
« Ça ne fait rien, dit le gendarme. De toute façons nous allons vérifier tout ça ; ne vous en faites pas, nous avons l'habitude. Vous êtes vous disputés récemment ?
« Non dit Pierre Meunier, mais je ne vois pas le rapport.
« Il y a cinquante mille disparitions par an en France, répondit l'autre, la plupart ne sont que des fugues. Les véritables enlèvements sont rarissimes, surtout chez les adultes.
« Nous ne nous étions pas disputés, dit Pierre ; bien sûr, il y avait des hauts et des bas, comme dans tous les ménages, mais nous n'avions pas eu de querelle grave ni importante. Elle ne serait pas partie comme cela, dans ce genre de circonstances.
Il rappela l'embouteillage, la chaleur, cette atmosphère étouffante de gaz d'échappement et le bruit des klaxons.
« Elle était partie se dégourdir les jambes, dit il. Je ne suis pas allé avec elle car il fallait bien que je reste dans la voiture ; mais cela allait bien à par ça.
« Avait elle une maladie nerveuse, ou des crises d'amnésie ?
« Pas que je sache, elle avait bien des bouffées de chaleur de temps en temps, mais c'est tout ;
« Jamais soignée pour une dépression nerveuse ou quelque chose comme ça ?
« Non, dit le mari. Tenez, ajouta-t-il, j'ai une photo d'elle justement.
Et ouvrant sa mallette il sortit une pochette de photos qui venaient d'être développées.
« Elle n'est pas d'un très grand format, mais par contre c'est une photo récente.
« Au moins c'est déjà ça, cela va nous permettre de gagner du temps, nous allons pouvoir faire des agrandissements et les diffuser dans toutes les gendarmeries. Avez vous une idée sur cet homme avec qui elle était au bar ? Demanda le gendarme.
« Je ne sais pas, dit Pierre Meunier, je me le suis déjà demandé. Je me suis demandé
si par hasard elle n'avait pas pu rencontrer quelqu'un qu'elle connaissait, un ancien amant par exemple. Mais cela ne tient pas, nous n'avons jamais eu ce genre d'histoire. C'est une femme bien, vous savez. Que va-t-il se passer maintenant ? Demanda-t-il.
« Nous allons lancer un avis de recherche et mener une enquête dans la région. Nous vous préviendrons si nous avons du nouveau. Si c'est un enlèvement vous allez certainement recevoir une demande de rançon. Ils vous dirons de ne pas prévenir la police, bien sûr ne les écoutez pas. Si nous voulons remonter jusqu'à eux il faut que nous soyons informés sur tout. Mais ne vous attendez pas trop à cela ; les enlèvements pour rançon sont préparés de manière minutieuse. En ce qui concerne votre femme, sa disparition a l'air tout à fait fortuite. Mais malgré tout on ne sait jamais. Parfois l'occasion fait le larron et il ne faut pas abandonner cette piste. Au fait, a-t-elle un téléphone portable avec elle ? C'est un instrument extraordinairement utile, car s'il est branché nous avons la possibilité de localiser l'endroit où il se trouve de manière absolument précise.
« Et s'il n'est pas branché ? Demanda Pierre.
« A ce moment, bien sûr, cela ne sert à rien ; mais souvent les gens ne pensent pas à ce détail et il nous permet de gagner du temps dans beaucoup d'enquêtes. Vous pouvez appeler ici de temps en temps pour venir aux nouvelles, mais il ne faut pas forcément vous attendre au pire. D'ailleurs nous n'avons pas d'autre cas semblable pour le moment ; quand il y a des affaires criminelles vous savez, elles sont rarement isolées. Attendez vous à recevoir la visite d'un enquêteur pour un complément d'information. Vous rentrez chez vous à Belfort ou vous continuez votre voyage dans le midi ?
« Je n'avais pas encore pensé à cela, dit Pierre. Je suppose que je vais aller dans le midi puisque c'est là que nous allions. Si jamais c'était une fugue comme vous avez l'air de le dire, il est possible qu'elle y soit allée.
« Vous avez des enfants ? Demanda le gendarme, il faut peut être penser à les prévenir.
« Nous avons deux enfants, deux garçons ; ils sont partis en vacances en Grèce avec leurs fiancées. Ils font du camping, ça n'est pas facile de les joindre, d'habitude c'est eux qui nous téléphonent.
Pierre ressortit de la gendarmerie. Le soleil avait baissé sur l'horizon et l'on sentait que l'après-midi allait toucher à sa fin. Il remonta dans sa voiture et réfléchit un peu. Il ne pouvait pas repartir comme cela. Au moment de s'engager sur l'autoroute il prit la bretelle inverse et reparti dans l'autre sens. Il dut faire une trentaine de kilomètres avant de pouvoir refaire demi-tour et retourner à la station-service.
Quand il entra dans la cafétéria et se dirigea vers le bar il vit que la caissière et le barman avaient changé. Ceux de la nouvelle équipe n'étaient au courant de rien et non, personne n'avait laissé de message à son intention. Il regarda autour de lui et sur le parking, mais il n'y avait toujours pas de traces d'Isabelle. Le fil était rompu avec ce qui s'était passé tout à l'heure. Il regarda sa montre et vit qu'il n'était pas encore dix-huit heures.
« Solange doit être chez elle, pensa-t-il, je vais lui téléphoner.
Solange était sa secrétaire ; il dirigeait une entreprise de fonderie qui travaillait pour l'industrie automobile.
« Allo, Solange ? Dit il ; c'est Pierre à l'appareil. Dites moi, je ne vais peut être pas pouvoir rentrer dimanche soir. Je pense que je ne serai pas là pendant quelques jours. Je compte sur vous pour vous occuper des affaires courantes, si il y a quelque chose de particulier n'hésitez pas à me joindre sur mon portable à tout moment.
Sa secrétaire lui demanda s'il y avait quelque chose de grave, mais il ne lui dit rien. Il préférait attendre de savoir si vraiment la disparition d'Isabelle se confirmait.
Il ne savait pas vraiment ce qu'il allait faire ; chercher Isabelle, bien sûr, mais où et comment ? C'était comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Mais il n'y avait pas d'autre choix. La gendarmerie allait faire son travail, lui il pouvait essayer de compter sur la chance. Il remonta dans sa Mercedes et reprit doucement l'autoroute en direction du sud. Autour de lui c'était le défilé ininterrompu des camions et des voitures qui le doublaient. Il roulait à une vitesse assez lente pour ne rien perdre du moindre détail de ce qu'il voyait autour de lui. Mais les kilomètres s'accumulaient et il avait la lourde impression qu'il s'éloignait de plus en plus de sa femme.
La nuit était tombée quand il arriva dans sa villa des environs de Nice. Bien sûr il n'y avait personne. Toute les lumières étaient éteintes comme il se devait, mais il n'avait pas pu se départir de l'espoir que peut être il la trouverait là à l'attendre. Il alluma la maison et sentit le vide devenir de plus en plus pesant. Qu'allait il faire maintenant ? Il ne pouvait pas errer au hasard des rues en s'imaginant qu'il allait la rencontrer à la terrasse d'un café. Il alla dans son bureau et alluma son ordinateur. De sa mallette il sortit une seconde photo d'Isabelle et pensa que c'était une chance d'être passé chez le photographe retirer cette pochette juste avant le départ. Il glissa la photo dans le scanner et entreprit de composer une affichette qu'il pourrait faire diffuser en grande quantité. Il lui faudrait attendre le lundi pour trouver un imprimeur disponible, mais déjà un plan d'action se formait dans son esprit. Grâce à des annonces à la radio et à la télévision il pourrait trouver des volontaires pour former avec lui un comité qui distribuerait les affiches et chercherait à regrouper d'éventuelles informations. Il calcula que si une lettre anonyme lui demandant une rançon lui était envoyée à Belfort elle ne pourrait pas arriver avant mardi matin au plus tôt. Il pouvait donc rester jusqu'à ce moment là dans le midi à essayer de mettre les choses en branle.
Des environs d'Orange où elle avait disparu en allant vers le midi jusqu'à Nice il y avait à peu près trois cent kilomètres. Il lui faudrait donc orienter ses recherches à l'intérieur d'un triangle représentant l'ensemble de la côte méditerranéenne et ce n'était pas une mince affaire.

(à suivre) 

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