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30/11/2004

Les petits bateaux

Les petits bateaux


Quand les petits bateaux qui passent
Au fond de la mer se prélassent
Ce ne sont plus que des épaves
Et leurs matelots des cadavres.
Non ce n'est pas sous cette amure
Qu'ils ont la plus belle des allures ;
C'est qu'ils ne sont pas faits pour ça
Ces petits bateaux là !

Quand les petits avions qui volent
Du haut de l'air tombent au sol
Ce ne sont plus que des épaves
Et leurs passagers des cadavres.
C'est une solution radicale
Que celle du vol vertical
Mais sont ils donc bien faits pour ça
Ces petits avions là ?

Quand les petits hommes qui travaillent
Devant la télévision baillent
Ce ne sont plus que des épaves
Et leurs jolis yeux des cadavres.
C'est sûr qu'ils n'ont pas la faconde
D'un anarchiste épris de fronde ;
Ne sont ils donc pas faits pour ça
Ces petits hommes là ?

Quand les enfants qui ont grandi
Oublient leurs jeux pour des soucis
N'ont de leurs rêves que les épaves
De leurs désirs que les cadavres
Ils voient se défiler la vie
Sans un regret ni une envie
Mais sont-ils donc bien faits pour ça
Ces petits enfants là ?

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A table !

A table !


A cette époque je célébrais l'alcool.
Quand, quittant le travail, je revenais dans mon quartier, je flânais devant les vitrines des magasins en me demandant ce qu'encore une fois j'allais bien manger. Je ne pensais pas à boire. A ce stade de la réflexion je me serais bien contenté d'eau. Mais, en passant devant les étalages des poissonniers, des charcutiers, des bouchers ou des marchands de légumes, au moment de faire un choix, d'hésiter entre le fromage et le dessert, je commençais toujours à me demander ce que j'allais boire pour accompagner ce que j'allais acheter. Il ne me semblait pas absolument avoir une volonté alcoolique, comme disent les psychologues, ni manquer de volonté, comme dit le parler populaire. C'était simplement une affaire de goût. Le vin blanc allait mieux avec le poisson et certaines entrées froide, et le vin rouge avec le fromage. Pour le plat principal, sachant que j'étais seul, je tâchais de choisir un vin qui put correspondre avec le reste du repas. D'ailleurs, solitaire, je buvais rarement plus d'une bouteille ; et encore, souvent ne la finissais-je même pas. Mais je mettais un point d'honneur à trouver le breuvage qui put transformer en fête le moindre dîner de solitude. Quand j'entrais dans un magasin j'allais d'abord au rayon des viandes. Là, je les regardais toutes : le veau, le bœuf, le porc, les abats ou les gros morceaux, les grillades ou les pièces à rôtir, les bouillis et les ragoûts. Je ne les choisissais pas en fonction de la saveur que je leur présumais, mais à cause de leur apparence. J'aimais les pièces qui me paraissaient saines, tendres, à la fois fraîches et suffisamment rassies, dont la couleur montrait que s'était effectué le lent processus de transformation chimique qui les préparait à une dégustation savoureuse et qui présentaient un fin réseau de lignes de graisses qui prouvait qu'elles allaient rester tendres et onctueuses pendant la cuisson. Je les imaginais avec la sauce qui allait les recouvrir ou au contraire dans l'absolue nudité d'une chair que l'on se contente de poser sur le grill. Je réfléchissais à la manière dont j'allais les cuire pour qu'elles restent tendres et moelleuses et je visualisais la présentation de mon plat : les viandes blanches s'accordent bien avec les légumes de couleur pâle et les viandes rouges avec les couleurs chaudes et les verts prononcés. On peut bien sûr faire des choix différents, il n'y a pas de règle absolue, ce qui compte avant tout étant l'enchantement que l'on éprouve à l'arrivée du plat. Mais je m'étais fixé un certain nombre de règles esthétiques. Et pour moi l'esthétisme résidait autant dans le goût que dans la présentation. Tout devait être une œuvre : autant le geste précis qui tronçonnait les légumes que la juste température de l'huile dans laquelle on précipitait les morceaux de poulet ou de bœuf. Et partant du choix initial d'une pièce de boucherie j'imaginais toute une palette de saveurs. Autour du plat principal, suivant mon appétit et surtout quand j'attendais des invités, je composais le reste de mon dîner : les entrées, faites souvent de poisson froid que j'avais pêché avec mon bateau et que j'apprêtais en entre-mets les plus divers comme des flans ou des terrines de poisson, ou des fruits de mer, ode permanent aux côtes de Normandie où l'on pêche à pied toutes sortes de coquillages et de crustacés que l'on mange de la manière la plus simple mais la plus savoureuse. Plus rarement je servais des charcuteries, sauf quand j'avais envie d'évoquer le souvenir d'un jour ou je m'étais régalé chez l'un ou l'autre de mes amis, puis, venaient les fromages. Souvent, arrivé là, je calais, surtout quand j'étais seul ; mais dès que j'avais des invités je composais une assiette ou un plateau dont je choisissais les ingrédients un par un : il me fallait toujours un chèvre et une pâte cuite, un bleu et un fromage à croûte jaune, comme les normands Pont-l'Évêque ou Livarot, le picard Maroilles ou l'Époisses bourguignon. Bien sûr, parmi les fromages jaunes j'essayais toujours de trouver une place pour le Munster si fort d'odeur mais si doux de goût et pour le Rouy mayennais. Parmi les bleus c'est le Roquefort au lait de brebis qui avait ma préférence, mais de temps en temps je me laissais tenter par un Gorgonzola italien ou un bleu du Danemark au goût si fort qu'il peut faire croire à un viol du palais tant qu'on ne l'a pas apprivoisé mais qui, passé la première surprise de cette brutalité sauvage et exotique, laisse l'impression d'une révélation à apprécier à dose homéopathique comme les piments terribles de la caraïbe. Pour les chèvres c'était plus simple : je les aimais tous de manière égale et l'on a l'impression, quand on mange du chèvre de porter à sa bouche toujours le même fromage : seul change le degrés de maturation, mais il y a une surprenante constante dans le goût des fromages de chèvre : on peut l'aimer ou ne pas l'aimer, mais un chèvre est toujours un chèvre au contraire des fromages de vache qui sont si différents les uns des autres. Je pense que cela doit venir du caractère caprin : ce sont des animaux vraiment têtus, beaucoup moins dociles, même s'ils s'apprivoisent facilement, que les brebis ou les bovidés. Ils gardent toujours leur caractère inaltérable et leur regard, avec leurs yeux fendus, est encore pire que celui des chats. Les chèvres savent rire en bondissant sur les talus et leur air moqueur donne son goût au fromage ; d'ailleurs, le fromage de chèvre quand il est très fort est appelé fromage de bouc ; le bouc n'est-il pas l'image du diable ?Et quelle fermière ne se sera jamais méfiée de leurs sabots pointus pendant la traite ? Elles manquent de force, certes, mais pas de vivacité ! Je mettais aussi pour adoucir la bouche, à la fin de l'assiette, un morceau de pâte cuite comme un Comté parfumé ou un tendre Emmenthal, un de ces fromages que l'on mange sans pain !
Quand j'avais choisi tous les éléments de mon repas je me mettais en quête du breuvage magique et je faisais trois ou quatre fois le tour du rayon des vins. Je n'ai jamais bu de très bon Bordeaux ; ceux que je trouvais dans le commerce et qui étaient à portée de ma bourse me paraissaient âpres et sans saveur. De loin je leur préférais un vin des Côtes du Rhône fort de caractère et parfumé comme un Crôze - l'Ermitage ou un Vacqueyras, à moins que je n'ailles trouver dans quelque magasin improbable un Corbières Montagne d'Alaric, à la renommée confidentielle mais au goût miraculeux ! Pour les blancs je préférais les vins d'Alsace au parfum si fruité ou les Bourgognes aligotés qui emplissent le palais d'effluves de terroir, mais en réunion nombreuse j'aimais terminer le repas par un Monbazillac glacé qui était délicieux avec les desserts et qui me rappelait mon enfance où j'avais découvert cette tradition chez ma grand mère. Parfois, en circonstances exceptionnelles, je sortais du fond d'une armoire une bouteille de vieille prune blanche ou de mirabelle comme j'avais vu les paysans en boire quand j'étais enfant, en Lorraine, et je me laissais aller à une dégustation voluptueuse et immobile. Alors, l'esprit embrumé et le corps repu, je m'endormais en écoutant de la musique et j'oubliais tous les projets, tous les désirs qui m'avaient porté toute la journée !

27/11/2004

Hommage à Lewis Caroll

A Lewis Caroll






Sourire de chat:






Par un beau matin de Juillet
Un sourire de chat m'attendait
Au coin d'un arbre, d'une forêt.
« Elle est partie par là »
Me dit le chat
Qui me souriait obligeamment.
« Quel animal intéressant,
Comme il a l'air intelligent! »
Me dis-je, à la pensée émue
De voir ma fièvre ainsi connue.
« De ce pas m'en vais la chercher,
Voudriez vous m'accompagner?
Enfin, si vous voulez? »
« Néni » dit l'animal;
« Je vous comprend, c'est bien normal,
Mais foi de mathématicien,
Si vous empruntez ce chemin
Vous modifierez ses données,
Ce ne sera plus le même chemin,
Comment dés lors la retrouver?
Mais faites ce que vous voulez,
Ce sera sûrement intéressant. »
Dit le sourire, intelligent.

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26/11/2004

L'art de faire chanter les serins

L'art de faire chanter les serins:






Une première chose que l'on voit souvent pratiquée consiste à leur arracher les plumes du bout des ailes. C'est un moyen assez efficace, mais hélas sans cesse à recommencer, les plumes ayant une fâcheuse tendance à repousser. C'est pourquoi je conseillerai plutôt aux amateurs de sectionner à l'aide d'un bistouri le tendon reliant le tarse au métatarse. Cette opération présentant l'inconvénient de laisser pendre l'extrémité de l'aile il suffira de la pratiquer sur un seul côté de l'oiseau et de l'habituer à se présenter de profil en cachant le côté mutilé. Ce procédé ne fait pas que l'oiseau chante mieux, mais au moins il l'empêche d'aller chanter ailleurs.
Certains serins chantent seuls de manière naturelle. Pour ces oiseaux il ne s'agira que d'améliorer leurs capacités innées et ils occuperont la plus grande partie de notre article. Pour ceux qui refusent de chanter il est un procédé si connu du grand public qu'il n'y a pas besoin de beaucoup en parler: Il consiste à leur crever les yeux; c'est assez efficace, surtout pendant la première heure.
Une fois que votre oiseau aura appris à vocaliser, il devra encore apprendre à moduler son chant: certains serins ont un cri rauque proche de celui du corbeau. Ce n'est pas très joli et en tous cas pas agréable aux oreilles des jeunes filles que vous voudrez attirer chez vous pour leur montrer votre petit oiseau.
S'il ne sais pas siffler fendez lui la langue en deux comme celle d'un serpent.
S'il ne sait pas rouler les airs greffez lui un minuscule grelot sous la voûte palatiale, mais faites attention de ne pas le prendre trop gros, cela pourrait l'étouffer.
S'il ne chante pas assez fort maintenez le gonflé grâce à un mécanisme pneumatique qui augmentera ses capacités de résonance.
S'il chante trop fort vous avez le choix entre le couvrir d'un chapeau de feutre ou le faire taire d'une pichenette.
Pour obtenir un chant régulier et diversifié il suffira de fixer son perchoir sur une sorte de piston qui montera et descendra de manière aléatoire. Ce piston pourra être mu par un moulin à vent, l'eau d'une rivière ou toute forme d'énergie inépuisable. Pour les habitants des villes il existe des systèmes d'appartement à manivelle, mais nous les déconseillons car ils sont assez fatigants à utiliser et ne permettent pas une véritable détente. L'oiseau étant attaché sur le piston chantera et battra des ailes pour conserver son équilibre d'autant plus que le mouvement sera rapide et saccadé. C'est du plus heureux effet et ne manquera pas d'ébahir vos invités.
Si enfin malgré toutes ces techniques vous n'arrivez à rien avec votre serin, jetez le. On trouve encore sur les marchés aux puces de très jolis automates datant du siècle dernier.

Lit de roses

Lit de roses



Je t'imagine couchée dedans un lit de roses
Leurs pétales nacrés te faisant comme un drap
Souriant les yeux fermés pendant que je dépose
Un baiser sur tes lèvres et te prends dans mes bras

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25/11/2004

J'ai traversé...

J'ai traversé...






J'ai traversé de noirs, de lourds orages de grèle
Que l'on voyait de loin unir la terre au ciel
Comme une masse intense toute semée d'éclairs
Où le vent qui soufflait, amenant le tonnerre
Chassait aussi les branches, les feuilles et les nuages.
Et je suis arrivé, après ce grand orage,
Qui avait nettoyé, du soleil, la lumière
Dans un pays d'herbages dont le coeur était vert
D'un vert tendre et fragile comme un premier printemps...





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24/11/2004

P'tit chien



P'tit chien








C'était il y a très longtemps, quand j'habitais Barcelonne. Je vivais tout en haut d'un vieil immeuble de la Calle Hospital, au coeur du Barrio Chino. Des chinois je n'en avais jamais vu dans le quartier, mais il devait tenir son nom des temps anciens où, depuis le port tout proche, des bateaux partaient vers le lointain orient. La façade de l'immeuble était noire d'histoire ; Barcelonne ne ravalait pas encore ses batiments à l'instar de Paris et les siècles qui étaient passés depuis sa construction avaient déposé des couches de suie et de poussière qui, recouvrant la pierre sculptée d'une patine mélangée de mousse, augmentait encore l'aspect gothique de l'immeuble.
Une nuit où je rentrais chez moi après une soirée prolongée dans les bars du Paseo de Gracia j'empruntai les Ramblas après avoir traversé la Plazza de Catalunya. Il avait plu et les trottoirs mouillés reflétaient la lumière des réverbères. Malgré l'heure tardive il y avait encore de l'animation sur les ramblas. Certains kiosques de fleuristes étaient ouverts toute la nuit et il y avait toujours quelques cireurs qui étaient là, prêts à sortir un paquet de cigarettes de contrebande de dessous la caisse de bois où ils rangeaient leur matériel. Toute la nuit du monde passait ; il y avait les prostituées et leurs clients, mais aussi toute un foule d'individus qui naviguaient de bar en bar, qui sortaient du dernier café pour attendre le premier boulanger, qui veillaient pendant des heures et des heures et n'allaient se coucher, rassurés, que quand le jour commençait à se lever. Souvent je m'était demandé quel mystérieux rapport reliait les noctambules, qui se disent amoureux de la nuit, à cet étrange moment du jour ou justement il ne fait pas jour. J'avais entendu parler de ces peuples d'Afrique dont l'islamisation était récente et qui, rassemblés autour d'un feu, mangeaient du cochon sauvage pendant ces heures ténébreuses car ils pensaient que Dieu ne pouvait pas les voir. D'autres fois je m'étais demandé si les noctambules aimaient vraiment la nuit, s'ils lui faisaient vraiment confiance, incapables qu'ils étaient de lui confier leur sommeil. Mais je n'avais jamais trouvé de réponse et je m'étais contenté comme tout un chacun de profiter au maximum de ces heures qui appartiennent à ceux qui n'ont rien à faire et se retrouvent entre eux quand la ville s'est libérée de l'agitation affairée des laborieux.
A un certain moment j'entendis un trottinement feutré qui me suivait à quelques pas. Je me retournai et je vis près de moi un petit chien au poil tout ébouriffé qui me regardait la tête penchée avec une expression amusante et sympathique. Je me penchai pour lui caresser la nuque ; il avait l'air si content et si affectueux que je m'attendais presque à le voir ronronner comme un chat. Je me relevai et repris ma marche vers la Calle Hospital avec la ferme intention de rentrer chez moi. Le petit chien me suivait, tantôt derrière, tantôt devant, tantôt marchant à côté de moi. Il me serrait de si près que plus d'une fois je faillis tomber en évitant de lui marcher dessus. Je ne savais qu'en faire, mais lui m'avait adopté. Je commençais à regretter de m'être arrêté pour le caresser. Il devait être égaré, à la recherche d'un nouveau foyer, et croyait sans doute qu'il avait trouvé en moi ce qu'il avait perdu ailleurs. Au bout de quelques minutes j'arrivai devant la porte de mon immeuble. Celle-ci était fermée et il fallu que je cherche ma clé au fond de mes poches. C'était encore un ancien système : il y avait plusieurs poignées donnant sur la rue, reliée à tout un système de tringleries et de cables qui actionnaient des cloches se trouvant à chaque étage. Les visiteurs devaient tirer ces sonnettes mécaniques et attendre qu'on vint leur ouvrir après les avoir identifiés dans le miroir d'un rétroviseur qui se trouvait à la fenètre. La porte devait rester fermée à clé à tout moment et il y avait toute cette installation archaïque qui permettait de se protéger des importuns. Hélas, il n'y avait pas de sonnettes pour les chambres du dernier étage. Les bonnes qui jadis y dormaient étaient sans doute supposées ne pas recevoir de visites et on n'avait pas jugé utile d'installer quelques tringles et quelques cables de plus. Maintenant que les bonnes avaient été remplacées par des étudiants cela n'avait pas changé et c'est pourquoi, sans doute par esprit de vengeance ou de révolte libertaire, certain de mes co-locataires négligeaient de fermer la porte à clé. Pourtant cette nuit là elle était bien fermée et je fus heureux de ne pas avoir oublié la mienne. Pendant que j'ouvrais ma porte en ayant en tête toutes ces considérations sur les sonnettes je sentis le petit chien qui se faufilait entre mes jambes. Je l'avais oublié quelques secondes mais lui avait été habile à s'introduire dans l'immeuble. Il avait l'air si mignon que j'eu pitié de lui et que je l'autorisai à monter avec moi.
" Tu viens, lui dis-je ; mais pour cette nuit seulement tu entends ? Pour cette nuit seulement parce que demain je te remets dehors ! C'est tout petit chez moi, ajoutai-je, tu verras, il n'y a pas de place !
En même temps que je disais cela j'avais bien conscience de n'en n'être qu'à moitié convaincu et je ne savais pas trop comment je m'y prendrais pour m'en défaire si lui avait vraiment l'intention de rester avec moi. Il entra à ma suite dans ma chambre et se coucha par terre devant la porte. Au moins il avait l'air d'avoir tout de suite trouvé sa place, il devait sans doute être habitué à s'installer là dans son ancien domicile.
" Tu sais plus où c'est chez toi, lui demandai-je ; t'as pas un maître qui t'attend ou un petit garçon qui pleure parce qu'il a perdu son chien ?
Il me regardait avec une expression très intéressée mais ne trouva rien à répondre. Pendant ce temps là je me déshabillais tout en lui parlant comme si c'était à quelqu'un qui pouvait me comprendre et soutenir une conversation. Je n'avais jamais eu de chien mais j'avais l'impression que c'était comme cela qu'il fallait faire quand on en avait un, qu'il fallait lui dire des choses, n'importe quoi, mais sans arrêt car s'il ne comprenait pas les mots il devait sentir qu'on s'adressait à lui. Je lui mis un saladier plein d'eau devant l'évier et me couchai après avoir enfilé un pyjama. Ma chambre était minuscule et il n'y avait guère de place, sauf pour tourner autour du lit, de sorte que quand j'y étais je n'avais guère d'autre choix que de me coucher.
Bien sûr, dès que je fus au lit il y sauta et vint s'allonger sur mes pieds. Je tentai de le repousser, de le faire redescendre mais il était têtu et me resistait en grognant pour me montrer que c'était lui qui commandait et que je devais accepter sa présence sur le lit. Je commençais à être vraiment embêté et ne savais plus comment m'y prendre pour le faire obeïr. A ce moment je fus surpris par un étrange phénomène : en le regardant j'avais l'impression qu'il s'était mis à grossir. Il ne faisait plus la taille du minuscule petit chien que j'avais trouvé dans la rue, mais avait dépassé celle d'un grand caniche et continuait à enfler, gonfler, grossir de tous les côtés, par devant, par derrière, par dessus et dessous, si bien qu'en très peu de temps il occupa tout le lit. Il avait atteint puis dépassé la taille d'un Saint-Bernard, ressemblait désormais à un veau et continuait de grossir encore. Moi j'étais dans mon lit, couché sous lui et je ne savais pas par quel miracle je n'étais pas écrasé par son poids . A force de grossir il avait fini par toucher les murs de la chambre, par toucher le plafond et il n'y avait plus un espace qui ne fut occupé par sa masse énorme. Moi j'étais en train d'étouffer, je n'arrivais plus à respirer ; ses poils pénétraient dans ma bouche, dans mon nez et je me débattais comme je pouvais pour essayer de le repousser. A ce moment là il écrasa l'ampoule qui brillait au plafond, il y eut une petite explosion et je me retrouvai assis dans mon lit en proie à une angoisse incommensurable. Je mis quelques instants à reprendre mon calme et réalisai que je venais de m'éveiller d'un cauchemard ; il n'y avait pas, il n'y avait jamais eu de chien. Je restai assis ainsi pendant quelques minutes, les pieds pendant du lit vers le sol et tout à coup je vis sur la moquette les quelques morceaux de verre de l'ampoule brisée.

Conférence agricole

Projet agricole:
( conférence )

... « A part ceci je m'occupe, comme vous le savez, d'activités diverses. En ce moment je mets la dernière main à un projet que je vais présenter bientôt au gouvernement et qui aura pour but d'aider le monde agricole.
Personne ne l'ignore, l'agriculture est un métier difficile, principalement parce que la terre est basse. Alors j'ai conçu un système de vérins hydrauliques mus par l'énergie solaire qui permettrait de relever la surface du sol d'un mètre. Une grande difficulté de cette entreprise tient en ce que la surface colle au fond. Un appareil fonctionnant sur le principe du fil à couper le beurre et actionné par un jeu de tringles relié aux vérins hydrauliques permettrait de contourner cette difficulté. De plus, l'espace ainsi dégagé entre le fond et la surface permettrait de stocker des céréales ou des hydrocarbures achetés aux moments où les cours sont les plus bas et mettrait définitivement le pays à l'abri d'un certain nombre de mauvaises surprises. Les économies ainsi réalisées suffiraient à amortir le coût des travaux de relèvement du sol et les revenus des brevets déposés par le premier pays à se lancer dans cette grande aventure lui feraient occuper une position dominante et d'avant garde dans le domaine de l'ingénierie des grands travaux... »

Merci de votre attention

23/11/2004

Conte dans les nuages

Conte dans les nuages






C'était en avril 1944. Mon père revenait d'une mission de bombardement dans la Ruhr. Le soleil, qui se levait dans son dos, lui indiquait qu'il était dans la bonne direction et qu'il filait droit vers l'Angleterre. En pleine bagarre, une balle, venue d'un chasseur allemand, avait traversé son tableau de bord et avait coupé toute vie à ses instruments. Le chasseur avait disparu, sans doute abattu par un autre appareil de l'escadrille des Forces Françaises Libres à laquelle mon père appartenait. Lui avait continué tout droit, encore et encore, pour échapper à cette mort qui le poursuivait. Et puis il s'était retrouvé seul dans le ciel libre au moment où le jour se levait. Il ne savait pas très bien où il était, mais savait qu'il n'avait qu'à voler vers l'ouest et finirait bien par atteindre la côte et la mer, et de là, l'Angleterre. Il ne voyait pas le sol car il volait au dessus des nuages. Ne s'étant, pour sa mission, pas enfoncé profondément au coeur de l'Allemagne, il savait qu'en moins d'une demi-heure il serait au dessus de la mer, hors d'atteinte de la DCA allemande. Son moteur ronronnait gentiment, et n'eut été cette panne d'instruments qui le privait de toute position, d'altimètre, de vitesse mais aussi de radio, il aurait été tout à fait rassuré. Mais il s'était déjà trouvé dans la même situation et n'avait pas eu de mal à rentrer. Dans quelques temps il pourrait redescendre au dessous des nuages et voler à vue jusqu'à se poser sur n'importe quel aérodrome anglais. Pour le moment cette couche cotonneuse le protégeait et il n'avait qu'à voler en se fiant au soleil. De temps en temps il voyait de petits nuages qui explosaient assez loin de lui. En bas, les allemands, qui l'entendaient sans le voir, devaient enrager et tirer au hasard. Bientôt, ces témoignages de la DCA allemande disparurent dans son dos. Il devait avoir franchi les ultimes lignes de défense qui auraient pu lui couper la route du retour. Soudain il entendit son moteur qui changeait de régime. Cela dura quelques secondes et puis tout s'arrêta. Il n'avait plus de carburant ; la balle qui avait brisé ses instruments devait aussi avoir endommagé son arrivé d'essence et le réservoir s'était vidé à son insu. Son avion commença à piquer du nez et à se rapprocher du sol. Il leva la main au dessus de sa tête et déverrouilla la poignée de sécurité du cockpit de plexi-glass. Celui-ci, chassé par la force du vent, s'arracha dans un bruit de tonnerre. Il avait, au cours de ses entrainements, mille fois répété ces gestes et savait parfaitement ce qu'il avait à faire. Il défit son harnais de sécurité, et, se cramponnant au bord de l'appareil avec le vent qui lui fouettait le visage, il se laissa glisser le long de la carlingue de l'avion. Le moteur était coupé et il vit l'appareil qui s'éloignait en silence. Il n'entendait que le bruit du vent qui mugissait dans ses oreilles.
Il tira la poignée de commande d'ouverture de son parachûte et rien ne se passa. Il tira encore une fois, deux fois, trois fois, il ne se passait toujours rien. Il essaya avec son parachute ventral, plus petit, qui ne devait servir qu'en cas d'extrême urgence car il freinait moins et son utilisation était dangereuse, mais rien ne se passa là non plus. Il devait y avoir eu un problème à l'atelier de pliage et c'était tombé sur lui. Cela arrivait quelques fois, mais les pilotes étaient rarement là pour le raconter. Calculant rapidement à quelle altitude il devait voler quand son moteur s'était arrêté, il comprit que sa chute durerait moins d'une minute. Un corps qui tombe dans le vide atteint une vitesse stablisée de deux-cent-cinquante kilomètres heures. Chutant depuis une altitude de quatre mille mètres il en avait à peu près pour une minute. La minute la plus longue - et aussi la plus courte - de sa vie de jeune aviateur. Il avait à peine vingt ans et n'avait jamais songé que les choses pouvaient se terminer ainsi ; il s'attendait à mourir, bien sûr, mais dans une grande explosion au cours d'un combat aérien, pas ainsi dans une chûte inéluctable. Il revit son enfance en Lorraine et puis très vite sa fuite à seize ans pour échapper à la mobilisation dans l'armée allemande. Il était allé en Espagne, avait été interné là-bas dans un camp de concentration, puis, parlant anglais, il s'était fait passer pour un américain. Les espagnols renvoyaient les français échappés, à plus forte raison les lorrains et les alsaciens qui étaient considérés comme des déserteurs de l'armée allemande. Le consul des Etats-Unis, qui passait là à la recherche de ses compatriotes - C'était en mille neuf cent quarante et un et les américains n'étaient pas encore entrés dans la guerre - vit tout de suite à qui il avait affaire et le prit sous sa protection. De là mon père passa en amérique et rejoignit les Forces Françaises Libres en angleterre.
Il songea à Gladys, sa jeune épouse anglaise qui lui avait donné un enfant. Ils étaient tous les deux à peine plus que des adolescents quand ils s'étaient rencontrés et dès leurs premières amours Gladys s'était trouvée enceinte. Le père de la jeune fille, au début, avait été furieux, surtout que ce fut avec un de ces "frenchies" qui avaient été vaincus, avaient capitulés et avaient laissé l'Angleterre se battre seule contre la barbarie hitlerienne. Puis, avec le temps, comme il aimait sa fille, il avait accepté qu'elle se maria avec son diable de frenchie. Comme c'était encore le début de la guerre et que les Forces Françaises étaient seulement en train de se former et ne participaient encore à aucune opération, les deux jeunes époux vivaient dans la maison des parents de Gladys et mon père rentrait tous les soirs.
Soudain, dans sa chûte, il traversa la couche de nuages. Il vit qu'il était au dessus de la mer. Il n'y avait aucune trace de son avion qui avait du continuer plus loin, en vol plané, avant de s'abîmer dans les flots. Pour lui cela ne faisait aucune différence. Mer ou terre, à la vitesse à laquelle il allait, la surface de l'eau aurait la solidité d'un mur et son corps serait disloqué au premier contact. Il avait froid, le vent qui entrait dans son blouson le réfrigérait. Il hésita entre se rouler en boule pour se protéger de la température et accélèrer sa chûte sans issue ou, au contraire, ouvrir son corps à plat pour se ralentir et se donner quelques secondes de vie supplémentaires. En bas il voyait des bateaux, des escorteurs de la Royal Navy. Il ne devait pas être loin des côtes anglaises et son parcours allait s'arrêter là.
Il repensa à Gladys, sa jeune épouse et à leur enfant. Peut-être après tout sa mort était elle normale. Il n'aurait personnne pour le regretter et c'était finalement bien que sa vie s'arrêta là. Gladys et son fils avaient été tués dans un bombardement alors qu'il était aux Etats-Unis en formation de pilote. Il avait reçu un courrier de son beau-père qui lui annonçait la triste nouvelle. Quand il était rentré en Angleterre, quelques mois plus tard, il n'avait pu qu'aller se recueillir sur leur tombe. Il avait l'impression que sa vie s'était terminée ce jour là. Après, les missions au dessus de la France ou de l'Allemagne s'étaient enchaînée les unes après les autres. Il prenait tous les risques et était considéré comme un héros, mais ce que personne ne savait c'est que son énergie n'était que celle du désespoir et qu'il avait à la fois envie de tuer et de mourir, et s'il restait en vie, c'était simplement pour pouvoir continuer à tuer encore.
En bas, il vit les bateaux qui grossissaient, la mer qui se rapprochait. Il n'en avait plus que pour quelques secondes. Il n'avait plus rien à regretter. Sa vie avait été rapide et courte, mais tous les jours il y avait des milliers de personnes qui mouraient à cause de cette guerre. Il faisait simplement partie du lot et dans quelques jours tout le monde aurait oublié son existence.
Soudain il sentit une secousse violente et une douleur vive qui lui déchirait les aisselles. Sa chûte se ralentit brutalement et il sentit son corps qui se balançait au bas du parachûte qui venait de s'ouvrir. Tout repartait.


22/11/2004

L'assassin et la petite fille

L'assassin et la petite fille



La petite fille pleurait
Et les gouttes de pluie
Qui tombaient sur ses cheveux
Coulaient le long de ses joues
Et se mêlaient à ses larmes.
L'assassin s'approcha d'elle,
Cachant ses mains derrière son dos.
Pourquoi pleures-tu petite fille ?
Demanda l'assassin.
Il pleut toujours
Pendant les vacances
Dit la petite fille,
C'est pas juste !
L'assassin sortit ses mains
De son dos.
Elles tenaient un grand couteau !
Le couteau à couper
Le brouillard !
L'assassin l'enfonça
Dans le ventre du nuage
Et la petite fille applaudit
En riant aux éclats !

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20/11/2004

Soupe au génie

Soupe au génie:

Prenez un génie, pas trop gros, mais pas trop petit et une cocotte, plus grande que le génie, mais pas trop; si la cocotte était trop grande le génie pourrait se sentir seul, et il est mauvais que les génies se sentent seuls. Quand la cocotte est bien chaude jetez y le génie tout vivant, puis, en lui mentant, faites lui croire qu'il peut partir. ( Mais attention, il est difficile de mentir aux génies! ) Quand il est parti, faites le revenir en lui disant que vous l'invitez à une sauterie. En revenant il sautera dans la cocotte, vous verrez, c'est très drôle! Quand il fumera par les oreilles mouillez le de vin de palmes académiques puis parfumez d'une couronne de lauriers. ( Il est important de faire ces opérations avant la mort du génie. ) Quand le génie est attendri, ramolli, mais qu'il frémit encore, allez le déguster place de la Bastille ; tout en haut de la colonne une place vide vous attend.

La contorsionniste mongole et le sumo japonais

La contorsionniste mongole et le sumo japonais:

S'il la pénètre il la transperce. Elle est toute petite, toute souple, aux grâces enfantines et au corps disloqué par les années d'exercice. Lui, énorme, grand, gros, puissant, le regard jovial d'un enfant repu qui ne sait jouer qu'en poussant du ventre.
Il la prend dans ses mains et l'approche de sa bouche souriante. Il la lèche, la suce, l'aspire; elle se recroqueville et se vide entre ses lèvres. Lui, gourmand, il la dévorerait. Elle, petite poulette aux os épars, objet trop léger au vent d'une tornade, subit son ardeur jusqu'à presque disparaître et oublier qu'elle existe. Mais voilà le miracle: elle, si petite, si frêle, devient réceptacle de ce grand corps buffalin et dans le relâchement de la chair abeille butineuse de miel. Pendant un instant ils ont l'âge de l'univers et oublient qu'ils ne sont que ses enfants.

19/11/2004

Le dauphin, conte d'hiver

Conte d'hiver






C'était hier. J'étais allé faire un tour à la plage histoire de respirer quelques minutes le vent glacé qui soufflait du nord. Du haut de la dune, de là où s'arrêtait la route, je voyais les rouleaux gris de la marée qui montait et envahissait cette grève mélangée de sables et de vases qui s'étend depuis Saint Jean jusqu'au fond de la baie. Sur le bord de la plage on voyait des traces de chevaux qui étaient venus s'entraîner là plus tôt dans la matinée et que l'on faisait galoper dans le sable mou pour leur fortifier les membres.
J'enfilai une paire de bottes en caoutchouc que je gardais toujours dans le coffre de la voiture et je descendis vers l'eau. J'aime l'eau ; comme il y a des incendiaires qui sont fascinés par le feu, je suis fasciné par l'eau. Je n'ai jamais provoqué d'inondation mais chaque fois que je vois des prés envahis par une rivière je suis en extase devant la beauté du spectacle. Le moindre étang, la vue d'un canal, le cours sinueux d'une rivière sont des images qui me ravissent ; alors la mer, cette étendue vivante, magique et d'une force incommensurable, je pourrais rester des heures à la regarder, à l'écouter, la sentir.
La marée montait rapidement. Les petites vagues frisées d'écume courraient les unes après les autres et cherchaient les moindres creux de ruissellement dans lesquels elles pourraient avancer encore un peu plus vite. Souvent on dit que dans la Baie la marée avance à la vitesse d'un cheval au galop ; ce n'est jamais vrai et c'est sans doute quelque poète à la recherche d'une image forte qui est à l'origine de cette légende que les habitants des villages côtiers se plaisent à répéter pour impressioner les touristes. Néanmoins c'est toujours une vision étonnante que cette masse d'eau qui parait sans limite et se déplace sans cesse avec une régularité d'horloge.
Soudain je vis une forme sombre qui bougeait lentement entre deux eaux à quelques dizaines de mètres de moi. Je pensais tout de suite à un baigneur à cause de la forme allongée et de la masse du corps que j'entrevoyais de loin, mais je réfléchis que ce n'était pas possible en cette saison ; cela devait être une sorte de gros poisson qui s'était aventuré en ces eaux peu profondes. Je suis habitué à voir des phoques dans la Baie, soit lors de mes promenades en bateau, soit directement depuis le rivage quand ils viennent pêcher en certains endroits. On voit en général surgir une tête ronde qui regarde autour d'elle avec un air étonné, inspecte le paysage et se donne le temps de respirer avant une nouvelle plongée. Mais on ne voit jamais le corps des phoques s'ils ne sont pas étendus sur le sable à se reposer. Là, manifestement, ce n'en était pas un ; c'était d'ailleurs un plus gros animal dont la présence était complètement inhabituelle dans la région. L'eau, qui menaçait de passer par dessus mes bottes à chaque vaguelette, m'empêchait d'approcher plus près, mais l'animal lui même venait inexorablement vers le rivage et au bout d'un moment je vis clairement qu'il s'agissait d'une sorte de dauphin.
J'avais souvent vu à la télévision des reportages sur ces cétacés qui, pris d'une sorte de folie ou désorientés par un parasite ou une maladie qui les privait de leur sens de l'orientation, se jetaient sur les plages et allaient ainsi à une mort certaine. Parfois, des volontaires qui se trouvaient là réussissaient, à force de d'entêtement et de persuasion à les faire rebrousser chemin et repartir vers le large. Cela réussisait rarement, mais parfois cela marchait ; il suffisait peut-être de temps en temps d'une intervention extérieure pour que leurs sens reviennent, un peu comme ces très jeunes enfants victimes d'un cauchemard contre lequel les parents ne peuvent rien faire et que la simple venue d'un médecin suffit à appaiser. Je m'avançais vers l'animal afin de tout tenter pour lui venir en aide. Je sentis aussitôt l'eau glacée envahir mes bottes et remonter le long de mon pantalon jusqu'à mi-cuisse.
C'est en février que la mer est la plus froide, qu'elle a perdu lentement toute la chaleur quelle avait emmagasiné pendant la belle saison et qu'elle n'a pas encore vu de belles journées qui lui permettraient de se réchauffer. De surcroît, le vent du nord qui soufflait était glacial et je compris très vite que je ne pourrais pas rester longtemps dans cette position. Je m'approchai du dauphin jusqu'à le toucher et me frottai contre lui afin de lui faire sentir ma présence. Il se tourna sur le côté et je vis un petit oeil étonné qui me regardait. Il n'était pas effrayé et je ne sentais pas non plus en lui d'agressivité. Je le carressai un peu puis, le prenant à bras le corps, j'essayai de le faire changer de direction. L'animal se débattit et m'échappa en un seul coup de queue. Il se rapprochait de plus en plus du rivage. Je revins près de lui et tentai, en faisant obstacle de mon corps, de lui interdire le chemin de la plage. Il était vigoureux et je dû bientôt entamer une lutte au corps à corps pour tenter de le faire changer de direction. Vu le peu de profondeur de l'eau à l'endroit où nous étions son ventre devait certainement toucher le sable ce qui lui ôtait une partie de sa force et m'aidait dans mon travail ; mais la mer était toujours en train de monter et le front où nous menions cette lutte pacifique reculait sans cesse. Je pensai que tant que nous serions à marée montante j'aurais une chance de lui faire rebrousser chemin, mais que dès que le flux s'inverserait il serait beaucoup trop lourd pour que je puisse faire quelque chose s'il arrivait à s'échouer sur la grève. Je n'avais pas non plus le temps d'aller chercher de l'aide : quitter la plage, aller à ma voiture qui se trouvait à près d'un kilomètre et de là au village où il me faudrait encore trouver des gens disponibles et intéressés au sauvetage d'un dauphin, ce n'était même pas la peine d'y songer. Encore en été il y aurait eu des touristes ou des vacanciers qui auraient été heureux de venir me prêter main forte dans cette aventure, mais à cette heure ci, en cette saison, il ne restait au bourg que des personnes agées qui auraient été incapables de la moindre aide quelle que fut leur bonne volonté. J'étais seul, irrémédiablement seul dans cette lutte contre la mort de cet animal obstiné qui s'entêtait à se jeter sur la plage. Je commençais à greloter et à me demander si ce que je faisais n'était pas complètement vain devant la volonté qu'affichait le dauphin. Mais chaque minute était une minute de gagnée et si je réussissais à suffisament l'agacer il finirait peut-être par repartir dans l'autre sens. Soudain je vis avec effroi que la mer avait céssé de monter. Encore quelques instants et elle entamerait son reflux et c'en serait alors fini de ce noble poisson si je n'avais pas réussi à lui faire faire demi-tour. Je redoublai d'efforts pour l'empêcher de s'échouer et le maintenir dans l'eau. C'était un travail exténuant dans cette mer gelée. J'étais maintenant entièrement trempé, j'avais l'impression que mille aiguilles me pénétraient le corps et je commençais à sentir un grand froid intérieur qui me disait clairement que je ne pourrais pas continuer longtemps à rester ainsi dans l'eau. Je sentais venir le vent désolé de la défaite en même temps que mes forces commençaient à m'abandonner.
Soudain j'entendis des claquements secs et répétés qui venaient du large. Je levai la tête et je vis, à quelques dizaines de mètres de là, encore en eau suffisament profonde, un deuxième cétacé qui venait vers moi. Mais celui ci n'avait pas du tout le même comportement calme et résolu. Au contraire, il allait et venait le long de la plage sans s'approcher trop du rivage et lançait des appels affolés en faisant claquer son bec et en poussant de petits cris pointus. Que se passa-t-il alors réellement dans l'esprit de mon dauphin ? Je l'ignore, mais dès ce moment là il marqua une hésitation dans les mouvements qu'ils faisait pour échapper à ma prise. Il était lourd, et je ne réussissais pas véritablement à le tirer du sable pour le refouler vers le large, mais de lui même, en quelques soubressauts, il regagna la mer et rejoignit son congenère qui l'appelait. Je les vis se frotter amoureusement l'un contre l'autre pendant quelques instants puis ils disparurent dans les vagues sans plus se retourner.

7/2/03

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Bonjour à tous !

Entrant dans un nouvel univers, je tiens d'abord à saluer tout le monde !

L'enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions, mais il n'a jamais été prouvé que les mauvaises menaient au ciel. Alors, comment y arrive-t-on? Par hasard?

A bientôt.