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25/11/2007

Le bon roi et le dernier sujet

Un roi était un très grand roi. Il régnait sur un pays immense et sur un grand nombre de sujets. Son pouvoir était absolu, mais c'était un bon roi, juste et généreux. Il savait distribuer à son peuple les revenus de son immense fortune, ce qui fait que ses sujets ne rechignaient jamais à accomplir les tâches et même les corvées que leur roi leur demandait. Ses sujets étaient comme ses enfants et lui était comme un père qui veille avec affection sur sa famille.
Pour son malheur, ce roi n'avait pas de descendant. L'âge était venu sans qu'il s'en aperçoive, tant il était absorbé par son travail quotidien pour le bien de son royaume, et la reine son épouse ne lui avait pas donné d'enfant. C'était une question qui le préoccupait : il avait vu d'autres royaumes verser dans les guerres civiles après la disparition d'un monarque juste et cette question le hantait. Il avait peur que certains, parmi les plus en vue de ses sujets, ne se battent pour le pouvoir qu'il viendrait à laisser vacant au jour de sa mort. Il ne voulait pas faire entrer en disgrace les plus méritants, ni non plus favoriser certains qui n'avaient guère de mérite. Mais il sentait bien que parmi tous ceux de ses sujets qui auraient pu prétendre diriger un jour le royaume il était incapable de faire un choix : chacun avait ses qualités et il n'aurait pas été juste de favoriser l'un plus que l'autre.
Après des années de réflexion il résolu de partager son royaume entre tous ses sujets, de le morceler afin de donner à chacun une part égale. Chacun serait ensuite libre de faire fructifier sa parcelle comme il l'entendait et la félicité pourrait continuer de régner dans l'égalité et la liberté. Par chance, son royaume se trouvait au centre d'une vaste plaine ; la terre était également bonne partout et l'eau y était abondante : si aucune rivière ne coulait à travers le royaume il était par contre facile de creuser des puits peu profonds qui permettaient d'accéder à une eau claire et fraiche. Comme il n'y avait guère d'enjeu sur le choix des parcelles ses géomètres n'eurent aucun mal à en tracer les contours : par facilité chacun s'accomoda de celle qui se trouvait la plus proche de chez lui et tout se passa le mieux du monde.
Pourtant un matin le roi reçu la visite d'un de ses sujets qui lui présenta une étrange requète :
"Majesté, lui dit-il, je voudrais vous remercier pour ce don que vous faites à chacun. Pourtant, moi je n'ai pas l'âme d'un laboureur ni celle d'un éleveur. Je n'ai envie de planter ni des fleurs ni des légumes, je ne cherche pas à élever des vaches, des chevaux ou des moutons ; je n'ai que faire de forêts et n'ai pas l'intention de construire une usine de scierie, de filature, ni même de boucherie".
"Que veux-tu alors ? lui demanda le roi. D'ailleurs, regarde : tu es venu en dernier, tout le monde a été servi ; tout mon royaume est partagé et il ne me reste pas le moindre petit bout de terre à te donner. Pourquoi n'es-tu pas venu en même temps que les autres ?
"Je vous l'ai dit majesté, je n'étais pas intéressé par ce type de parcelle, et je ne voulais pas compliquer le partage. Par contre, à la question de savoir si tout est déjà partagé, je puis facilement offrir à votre majesté une solution qui me conviendrait et qui ne prendrait que peu à chacun.
"Parle dit alors le roi, je t'écoute.
"Je me contenterai, dit le sujet, d'une bande de terre d'un mètre de large prise en façade de chacune des parcelles. Il faudra bien sûr que cette bande de terre soit d'un seul tenant du début à la fin.
"Est-ce que cela ne sera pas un peu gênant pour les autres demanda le roi ? Si chacun veut visiter son voisin il sera obligé de traverser ta terre et risquera de piétiner tes plantations...
"Il n'y aura pas de problème dit le sujet, je laisserai chacun libre de traverser ma terre à sa guise et dans n'importe quel sens, d'ailleurs je ne désire pas faire de plantations.
Cette requète parut un peu étrange au souverain, mais comme il n'y voyait rien qui pouvait troubler l'ordre de son royaume il acquiesça à la proposition et ainsi fut fait.
Ceci fait, le sujet, délimita sa parcelle comme il l'avait dit au roi. Il y déversa des chariots de cailloux et de gravier pour en durcir le sol et le rendre définitivement impropre à la culture. Puis il construisit de loin en loin de petites maisons qui étonnèrent tous ses voisins.
"A quoi te sert-il, lui demandaient-ils, de construire la chambre à un kilomètre de la salle à manger et à un kilomètre encore de ce que je suppose être la cuisine ?
"Vous verrez, vous verrez, leur répondait-il tout en continuant son labeur.
Et pendant ce temps là, chacun s'activait sur sa parcelle pour y faire pousser qui des pommes de terre, qui des navets, qui du blé ou des poulets, mais au bout de quelques temps ils eurent besoin de se reposer et cherchèrent à échanger les produits de leur travail.
"Et toi, qu'as tu fait ? demandèrent-ils au dernier sujet, celui qui avait eu une requète bizarre.
"Moi, dit-il, j'ai fait une route que vous devrez tous emprunter pour vous rendre chez les uns ou chez les autres. Et sur cette route j'ai construit de petites maisons qui seront des magasins où vous pourrez venir vendre vos produits et où chacun pourra venir les acheter. Pour ce service que vous utiliserez en toute liberté vous n'aurez qu'à me verser quelques pièces chaque fois que vous ferez des affaires grâce à moi ; je ne vous demanderai rien d'autre.
Ainsi fut fait, et le vieux roi vit qu'il pouvait mourir en paix car il avait trouvé quelqu'un pour mettre de l'ordre dans son royaume.
Peu à peu le dernier sujet s'enrichi et plus les affaires se développaient plus il s'enrichissait. Il racheta le château du vieux roi et peu à peu, les autres sujets prirent l'habitude de le considérer comme si il avait lui-même toujours été le roi.

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