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23/01/2007

Une nuit d'Enfer

     Paris.
     Je crois que je dormais profondément. Je dis je crois car je n'ai aucun souvenir sur les instants qui précédèrent mon réveil. Je me souviens seulement du moment où je m'étais couché, la veille au soir, très fatigué par plusieurs jours de voyages, de visites, de rendez-vous et de repas trop longs et trop arrosés, et où, la lumière à peine éteinte, je m'étais laissé sombrer dans une disparition délicieuse, un abandon total et douillet au fond d'un lit chaud au matelas un peu mou, le corps recouvert d'une couette en duvet d'oie, idéalement légère et confortable.
     Je fus réveillé brutalement par le bruit d'un moteur de camion qui ronflait dans la rue au bas de l'immeuble. Le moteur ne se contentait pas de tourner mais le chauffeur en plus donnait de grands coups d'accélérateur pour augmenter le régime du moteur, comme quelqu'un qui en hiver veut faire chauffer sa mécanique avant de démarrer. Cela dura de longues minutes, beaucoup plus qu'il n'était nécessaire à quelqu'un qui se met en route le matin et s'apprête à s'en aller. Au bout d'un moment je senti la colère monter en moi. Je regardai l'heure à mon réveil électrique et vis qu'il était quatre heures du matin. Manifestement ce gars là n'en avait rien à fiche de réveiller toute la rue et d'empêcher des dizaines de personnes de dormir.
     Je me senti pris d'un désir de violence, j'avais envie de lui lancer quelque chose par la fenêtre, n'importe quoi, une bouteille vide ou un objet qui au moins casserait le pare-brise de son véhicule et lui ferait comprendre ce que son comportement pouvait provoquer. Je suis habité de temps en temps par de tels sentiments quand je me sens victime d'une injustice. Heureusement je ne passe jamais à l'acte ; mais cela me permet de me libérer, de ne pas subir de souffrance en étouffant la douleur et au final d'être plus décontracté quand je dois faire face à ce qui me tourmente.
     Je décidai quand même de me lever et d'aller voir par la fenêtre de quoi il retournait. J'ouvris les volets métalliques et, nu comme un ver, je m'engageai sur le balcon en essayant de garder dans la pénombre la partie inférieure de mon corps.
     Ce que je vis fit tomber instantanément ma colère comme une chose inutile qu'on jette sans regrets. Un camion de pompiers était stationné dans la rue et avait déployé sa grande échelle. Tout en haut, un brancard était fixé dans la nacelle et l'opérateur essayait d'atteindre le sixième étage de l'immeuble voisin. C'était une manœuvre difficile, qui demandait beaucoup de patience et de précision, et chaque fois qu'il manipulait son engin le moteur du camion accélérait automatiquement pour fournir un surcroît d'énergie. Voyant qu'il n'y avait rien à faire et commençant à être pris par le froid je retournai me coucher et me mis un oreiller sur la tête pour essayer de me rendormir.



     Normandie.
     J'étais rentré chez moi après mon week-end parisien, comme tous les lundis soir. Ma maison est en fait une maison double. La partie habitation, par devant, que rien ne distingue des maisons voisines si ce n'est qu'elle a des fenêtres à petits carreaux et que sa façade est mangée par une glycine, et la grange, par derrière, qui est constituée d'un seul espace sans mur ni plancher et dans lequel j'ai seulement installé un certain nombre de plates-formes en quinconce auxquelles on accède par tout un jeu d'échelles de meunier, un peu comme dans les dessins de Escher, avec cette seule différence que le haut reste toujours le haut et que le bas ne prend jamais sa place. Où qu'on soit dans la grange on peut embrasser du regard l'ensemble du bâtiment et c'est cette unicité qui justement me plaît. C'est dans cet espace que je range toutes mes collections de tableaux, de dessins, de gravures et de livres rares et précieux, toute l'accumulation provoquée par une vie entière à la recherche de pièces curieuses, de manuscrits uniques et d'objets étonnant.
     Une fois dans le maison je me rendis compte qu'il y avait de la lumière dans la grange. J'en fus étonné car je n'y ai pas installé l'électricité. De jour, elle est éclairée par des lucarnes dans le toit et deux petites fenêtres à hauteur du premier étage et de nuit, je ne m'y rends qu'à l'aide d'une baladeuse. Je ne risquais donc pas d'avoir oublié la lumière et de plus, vivant seul, il n'y avait personne qui put s'y rendre à part moi.
     Saisi d'anxiété je me rendis donc immédiatement dans ce bâtiment afin de constater ce qui se passait.
     Mon frère jumeau était là. Je ne savais pas comment il était entré car il n'avait pas ma clé mais il était là. Il s'était installé un coin avec un lit sur une des plates-formes et avait posé des bougies partout pour donner de la lumière. Il y avait des bougies au sol, des bougies sur les livres et les rayons de bibliothèque, des bougies sur les piles de gravures et de dessins, sur les marches des échelles de meunier et les poutres de la charpente, et toutes ces bougies donnaient une lumière blafarde et chancelante qui vacillait au moindre courant d'air.
     J'en fus horrifié !
     « Tu es fou, lui dis-je ; tu vas mettre le feu ! »
     Pour toute réponse il se contenta d'éclater de rire et de me reprocher une inquiétude maladive et irraisonnée.
     Et justement, pendant qu'il disait cela, une bougie posée sur un tas de gravures se renversa et communiqua sa flamme aux papiers sur lesquels elle était tombée. Je me précipitai dans les escaliers pour tenter d'intervenir et pendant ce temps là mon frère Pascal, qui s'était rendu compte de sa bêtise, essayait aussi d'arrêter le début d'incendie. De ses pieds il piétinait le tas de gravures enflammées, sans aucun égard pour les eaux-fortes tirées sur papier de chine fragile ou les lithographies sur hollande resplendissant. Mais il tentait d'éteindre les flammes et après tout, les désastre étant entamé, autant essayer de sauver ce que l'on pouvait sauver. Mais hélas, en même temps qu'il piétinait et cherchait à écraser les flammes, dans son affolement d'autres bougies s'étaient renversées et des flammèches s'envolaient et allaient communiquer l'incendie aux diverses plates-formes. Ce fut une ruée infernale. Nous courions de feu en feu, armés de couvertures et de bâches, pour tenter d'étouffer ce monstre dévorant. Nous étions aveuglés par la fumée, saisis de quintes de toux abominables, nos poumons nous brûlaient et nos yeux nous piquaient et je ne sais comment, nous réussîmes à nous rendre maîtres de l'incendie.
     Nous restâmes un long moment hébétés, nous attendant sans cesse à voir les flammes reprendre à un endroit ou un autre, mais finalement, le temps passant, nous fûmes heureux de voir que nous avions vaincu et que tout danger était écarté.
     Les dégâts étaient sans doute immenses, des pièces uniques avaient du disparaître ou étaient à jamais endommagées, mais il était bien trop tôt pour faire un bilan et seulement le lendemain, à la lumière du jour, je pourrais me faire une idée du désastre que j'avais subi.                                                                                           Soudain j'entendis un bruit bizarre, comme celui d'une douche qui coule fort, mais très fort, extrêmement fort, et en un instant nous fûmes trempés, inondés :  les pompiers de la nuit précédente étaient arrivés et avaient entrepris de noyer tout ce qui avait échappé aux flammes !    

 

     Quand je me réveillai j'étais encore à Paris, couché dans mon lit des week-ends. Tout allait bien, et d'ailleurs je n'ai pas de frère jumeau.  

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