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12/07/2006

Chère Isabelle, 4

(Suite) 
 
 
4




           « C'est une drôle de fille se dit Pierre sur l'autoroute en pensant à Madeleine. Elle ne parle jamais d'elle même.
          Autant elle posait facilement des questions sur les autres, autant il trouvait qu'elle se découvrait peu. Il aurait aimé en savoir plus, mais lui poser des questions concernant sa vie privée l'aurait amené à dépasser les raisons pour lesquelles il la voyait ; une pudeur qu'il ne savait pas nommer le faisait rester sur sa réserve. Il avait un sentiment de culpabilité qu'il attribuait au respect des convenances et en même temps il avait peur de s'engager dans une voie qu'il n'aurait pas contrôlée et de rester interdit au bord d'un pas qu'il n'oserait pas franchir.
          En sortant de l'agence de publicité qui allait lui faire sa campagne d'affichage il avait pris l'autoroute en direction du nord. Il savait que quand il arriverait il serait déjà tard, mais au moins il serait sur place dès le lendemain pour s'occuper de ses affaires. De nouveau les kilomètres défilaient à toute vitesse. Il ne savait plus vraiment où il allait. Il savait qu'il allait à Belfort, mais il ne savait plus vraiment ce qu'était Belfort. Cela faisait-il encore partie de l'avenir ou déjà du passé ? Quelle que soit la cause de la disparition d'Isabelle il pressentait que les choses ne seraient plus comme avant.
           En repassant à la hauteur d'Orange il ressentit le besoin de retourner à la station service. Quand il fut dans le secteur il écarquilla les yeux en espérant voir quelque chose qu'il n'aurait pas encore vu. Mais tout était désespérément banal, il ne voyait rien qui put constituer un quelconque indice. Il s'attendait à voir surgir à tout moment la silhouette d'Isabelle, n'importe où, aussi bien sur les talus qui bordaient la chaussée, que sur' les parkings des aires de repos. Il se mit à toutes les explorer, même les plus simples et rudimentaires, celles qui n'avaient ni cafétéria ni commodités d'aucune sorte. Mais tout était désert, désespérément vide. Dans la cafétéria elle-même où le drame s'était noué le serveur et la caissière avaient encore changé. Comme c'était ouvert en permanence il y avait plusieurs équipes qui se succédaient. Pierre commanda une assiette de frites avec des saucisses et s'assit à l'endroit même où le premier barman lui avait dit que s'était assise Isabelle. Il aurait voulu pouvoir faire s'écouler le temps à l'envers jusqu'à revenir au moment ou elle avait été assise là. Pierre, qui ne croyait pas en Dieu, aurait aimé croire aux miracles.
          « Ce serait le moment, se dit-il, si Dieu existait, de faire quelque chose pour me le montrer. Je n'aurais plus d'autre choix que de l'accepter.
          Et en même temps il pensait à ceux qui avaient en permanence la certitude de son existence, tandis que lui, où qu'il se tournât, il sentait que le ciel était vide et qu'aucun regard n'était jamais posé sur lui, à part celui, lointain déjà, de sa mère pendant son enfance. Il se moqua de ses propres pensées, se dit que finalement cette éducation religieuse qu'il avait reçue ne le quitterait jamais mais n'aurait jamais non plus la force de le faire croire à ses vérités. Mais comme il connaissait toutes les rhétoriques de la religion il savait qu'un croyant lui aurait dit que c'était justement son manque de foi qui empêchait Dieu de se manifester.
          « Comme c'est faible, pensa-t-il, s'il suffit de ne pas y croire pour que cela ne marche pas.
          Il regarda autour de lui ; il y avait de nombreux touristes de toutes nationalités, des familles d'anglais et de hollandais en train de remonter vers le nord, et aussi des routiers belges qui dînaient avant d'aller se reposer dans leur camion. Ceux là dormiraient quelques heures et reprendraient la route en pleine nuit pour arriver au petit matin à leur lieu de destination. Il se rendit compte que Belfort était très loin de Nice. Même avec sa voiture puissante il n'arriverait pas avant que la soirée fut bien avancée. Ce n'était bien sûr pas la première fois qu'il faisait la route, mais cette fois, contrairement à l'habitude, il n'avait plus le plaisir de voyager, il s'agissait juste d'arriver, le plus vite possible. Le temps de tout mettre en place pour couvrir une absence de plusieurs jours il n'aurait certainement pas la possibilité de retourner dans le Midi dès le lendemain. Heureusement que Madeleine lui avait proposé d'aller chercher les affiches, il pourrait lui téléphoner pour prévoir un plan d'action. La première chose qu'il devrait lui demander serait de lui acheter et mettre de côté un journal où serait paru l'article d'Edmond Costello ; mais en même temps qu'il avait cette idée en tête il s'en voulu : elle y penserait certainement d'elle même et peut-être se vexerait-elle  parce qu'il n'avait pas suffisamment confiance en elle ? L'instant d'après il se dit au contraire que s'il faisait cette demande elle le prendrait comme une marque de l'importance qu'il accordait à son aide. Il ne savait plus trop quoi faire et se sentait un peu perdu. Il se rendit compte qu'il n'avait pas trop l'habitude de s'interroger sur les sentiments des autres et que finalement il était démuni.
          Soudain son téléphone portable sonna. Quand il se connecta il entendit la voix de son fils aîné.
          « Papa ? Dit celui-ci.
          « Bonjour Jean, répondit Pierre. Comment vas-tu ?
          « Ça va bien, dit Jean, ça se passe bien. Dis moi, j'essaie de téléphoner à maman depuis hier et son téléphone n'est jamais branché. Est-ce qu'elle l'a perdu, ou quelque chose comme ça ?
          Pierre s'écarta du bar pour pouvoir parler discrètement, sans être écouté par les gens qui se trouvaient à côté de lui.
          « Il y a un problème avec ta mère, dit-il. Elle a disparu depuis deux jours. Je crois qu'elle a été enlevée.
          Il raconta à son fils  l'embouteillage, les circonstances de la disparition, comment il essayait depuis deux jours de mettre quelque chose en place pour tenter de la retrouver.
          « Que fait la police ? Demanda Jean.
          « C'est la gendarmerie qui enquête, dit Pierre. Ils enquêtent ; c'est difficile d'en savoir plus.
          « Et tu crois que tu vas obtenir des résultas plus facilement qu'eux ? Demanda son fils.
          « Je ne sais pas, ce que je cherche surtout ce sont des témoignages, quelqu'un qui aurait vu quelque chose, mais je ne sais pas quoi.
          « Nous allons rentrer, dit Jean. Je vais prévenir Richard et nous allons rentrer dès demain.
          « Ça ne va rien donner de plus, dit Pierre, terminez vos vacances, vous aviez prévu de rester encore une semaine. De toutes façons vous ne pourrez rien faire de plus.
          « Nous allons rentrer, dit Jean. Ça ne serait pas possible de rester dans de telles circonstances. Même si nous ne servons pas à grand chose nous pourrons tout de même te donner un coup de main.
          « Soyez prudents, dit Pierre. La route est difficile pour venir de Grèce. Ne roulez pas trop vite et prenez le temps de vous reposer. Ça serait ridicule d'avoir un accident pour gagner quelques heures.
          Mais en disant cela il savait bien que son fils aîné, qui lui ressemblait, serait capable de faire toute le chemin d'une traite pour être revenu le plus tôt possible. Terminant son repas Pierre reprit la route. Il roulait vite pour s'éviter de penser. Trop vite sans doute ; quand devant lui une voiture ne se rangeait pas il la serrait de près en faisant des appels de phares et quand elle se rabattait il la doublait en la frôlant de quelques centimètres. Une certaine griserie liée à un sentiment de puissance montait en lui. Il roula ainsi pendant quelques dizaines de kilomètres, puis il pensa qu'en ces jours de vacances il y avait certainement des radars cachés sur le bord de la route. Il redescendit à une vitesse acceptable mais alors il s'ennuya. Il pensa que les lois ne devraient pas être les mêmes pour tout le monde, et qu'à tout le moins elles étaient mal faites.
          Il finit par arriver chez lui à Belfort. Il n'y avait pas de lettre dans la boite, ce qui était après tout normal, ni de message sur le répondeur. Tout était exactement comme s'il revenait après avoir laissé Isabelle dans la villa de Nice.
          Pierre prit un bain et se coucha. La voiture l'avait fatigué et énervé, mais le bain chaud le décontracta et l'aida à s'endormir.
          Le lendemain matin ce fut la sonnette de la porte d'entrée qui le réveilla. Il était un peu plus de huit heures. Pierre enfila sa robe de chambre et descendit ouvrir. Deux gendarmes se trouvaient devant la porte.
          « Monsieur Meunier ? Demanda l'un d'entre eux.
          « C'est moi, répondit Pierre.
          « Pouvons nous vous voir quelques instants ? Reprit le gendarme.
          « Entrez, dit Pierre, je vous en prie.
          S'effaçant devant eux pour les laisser entrer il referma la porte et les conduisit dans le salon.
          « Si vous voulez me donner une minute, dit-il, je vais aller m'habiller.
          Il remonta dans sa chambre et enfila rapidement les vêtements qu'il portait la veille.
Il repoussa sa toilette à plus tard en maudissant l'heure à laquelle les gendarmes se présentaient. Il n'y avait rien qu'il détestait autant que d'être contrarié dans son rythme le matin. Habituellement sa journée commençait toujours par le petit déjeuner. Il ne s'estimait bon à rien s'il n'avait pas, tout de suite au réveil, un bon demi litre de café au lait et quelques tartines dans l'estomac.
          « Puis-je vous offrir un café ? Demanda-t-il aux gendarmes en redescendant.
          « Si vous en prenez un vous même, répondit celui qui avait déjà parlé et qui paraissait le plus gradé.
          « Bien sûr, dit Pierre. Cela ne vous ennuie pas si je prends mon petit déjeuner en même temps que je vous reçois ? Je n'ai encore rien dans le ventre et c'est une sensation que je déteste.
          En disant cela il oubliait qu'il venait de passer deux jours sans presque rien manger et que cela ne l'avait pas soucié.
          « Je vous en prie, dit le gendarme. Pouvons nous nous installer ici demanda-t-il en désignant la grande table de la salle à manger.
          Sans attendre la réponse de Pierre il y posa sa mallette et en sortit un carnet de cuir noir.
          « Vous venez me voir à propos de ma femme ? Demande Pierre ; avez vous du nouveau ?
          « Pas vraiment, dit le gendarme. En fait nous voulons juste préciser certains éléments de votre déclaration.
          « C'est ce qu'on appelle un complément d'enquête ? Demanda pierre. On m'avait prévenu que vous passeriez certainement.
          « Voyons voir, dit le gendarme, nom, prénom, date de naissance ?
          Pierre le regarda interloqué ;
          « Vous venez chez moi et vous me demandez qui je suis ?
          « C'est la règle, dit le gendarme ; avant toute déposition il faut enregistrer l'identité du déposant.
          « Mais j'ai déjà fait une déposition à la gendarmerie d'Orange, dit Pierre, le jour où je suis allé déclarer la disparition de ma femme !
          « Je ne suis pas au courant, dit le gendarme. Mais là ce n'est pas pareil, vous n'êtes pas entendu comme plaignant, mais comme témoin ; ce sont deux choses différentes. Et sur chaque procès-verbal d'audition doit figurer l'identité du témoin, sinon il pourrait y avoir des confusions.
          « Je ne vois pas très bien ce que je pourrai dire de plus que la première fois, dit Pierre. Pour tout dire, je trouve cela un peu ridicule. Lui revinrent des souvenirs de sa jeunesse où il se braquait à la vue du moindre uniforme et de tout représentant de « l'autorité ».
          Le gendarme eut l'air perplexe.
          « Vous n'êtes pas forcé de témoigner, dit-il ; mais alors vous serez peut-être convoqué à la gendarmerie, et là vous serez obligé de venir.
          « Attendez, dit Pierre, c'est ma femme qu'on a enlevée, ce n'est pas moi qui ait enlevée celle d'un autre !
          « Je ne sais pas, dit le gendarme. D'ailleurs si j'en crois le dossier rien ne dit qu'elle ait été enlevée.
          « Où est-elle alors ? Demanda Pierre.
          « Je ne sais pas dit l'autre ; elle est peut-être partie d'elle même, ou alors... Il peut-y avoir plusieurs explications !
          « Vous ne pensez tout de même pas que...
          En même temps qu'il disait ces mots il se sentit un peu coupable, et surtout ridicule de se sentir coupable.
          « Je ne sais pas, dit le gendarme ; nous devons tenir compte de toutes les possibilités.
          Pierre recommença tout ce qu'il avait déjà déclaré à Orange. En même temps d'autres idées lui venaient : devait-il parler de l'imprimeur de Nice, par exemple et avouer que finalement il ne savait rien de ce que faisait sa femme quand elle était seule à la villa ?
Il hésita un instant.
          « Il y a quelque chose que je n'ai pas pensé à dire quand j'ai signalé sa disparition : tous les ans elle passait une grosse partie de l'été à Nice dans notre villa et je restais à Belfort. Je ne sais pas ce qu'elle pouvait y faire.
          « Vous ne vous êtes jamais inquiété ? Demanda le gendarme.
          « Non ; en fait je pensais que sa vie était exactement la même qu'à Belfort et qu'elle passait ses journées à la plage. C'est d'ailleurs ainsi que nous vivions quand j'y allais, mais je n'y restais jamais plus de quinze jours. Mais ça ne veut rien dire, reprit-il après une pause. Cet arrêt sur l'autoroute était tout à fait imprévu.
          « Bien sûr, dit le gendarme, mais nous savons qu'elle y a rencontré quelqu'un, peut-être le connaissait-elle ?
          « Elle parlait avec quelqu'un, dit Pierre en soulignant le mot. C'est ce qu'a dit le barman de la cafétéria.
          « Oui, mais ils sont sortis ensemble.
          « Ils sont sortis parce que la circulation redémarrait, dit Pierre.
          « C'est vrai, dit le gendarme, mais vous conviendrez avec moi que quels que soient leurs rapports ils n'auraient eu aucune raison de sortir ensemble si la circulation n'avait pas redémarré.
          Il avait une logique imperturbable qui découragea Pierre de toute envie de répondre.
          « C'est  donc pendant ces quelques instants que tout s'est joué, reprit-il. Le tout est de savoir si elle est montée volontairement dans un véhicule ou si elle y a été forcée.
          « Ça je le savais déjà, dit Pierre.
          « Nous n'avons pas beaucoup d'indices, dit le gendarme.
          Pierre lui expliqua qu'un article était sorti le jour même dans le Midi-Libre et qu'il avait prévu une campagne d'affiches pour susciter des témoignages.
          « On ne sait jamais, si quelqu'un l'avait vue dans une voiture ou quelque part...
          Une voiture jaune de la poste s'arrêta devant la maison et un jeune facteur mit un paquet d'enveloppes dans la fente de la porte qui firent un bruit mat en tombant au sol. Pierre se leva d'un bond et alla ramasser le courrier dans le couloir. Il n'y avait rien que des lettres de la banque, des enveloppes publicitaires et une carte postale de Grèce postée par ses enfants huit jours auparavant.
          « Alors ? Demanda le gendarme.
          « Rien, dit Pierre. En fait j'étais revenu du midi car je m'attendais plus ou moins à recevoir une demande de rançon. Au moins cela voudrait dire qu'elle est vivante quelque part.
          Pierre se tut un instant ;
          « Comment avoir une idée de l'importance des recherches qui sont menées ? Demanda-t-il.
          « Pendant que vous étiez dans le midi, dit le gendarme, des fouilles ont été effectuées  autour de la cafétéria d'où elle a disparu. Des fouilles importantes, beaucoup de gens ont été mobilisés. Mais cela s'est fait discrètement, tout au moins vis-à-vis de la presse. Un certain nombre d'objets ont été trouvés. Des vêtements et d'autres objets qui pourraient provenir d'un sac à main. Nous avons systématiquement ramassé tout ce qui pourrait constituer un indice. Il faudrait que vous passiez à la gendarmerie d'Orange pour voir si certaines choses peuvent appartenir à votre femme. Il semble que lors de votre première déclaration vous n'avez pas mentionné les objets qu'elle avait avec elle. J'imagine que c'est un oubli, pourriez-vous essayer de me préciser ce qu'elle avait emmené ?
          Pierre réfléchit quelques instants.
          « Peu de chose, dit-il ; il faisait chaud, elle avait juste ses vêtements et son sac à mains. Elle n'avait pas de manteau, ni rien d'important sur elle. Elle était vêtue d'un pantalon noir et d'un chemisier de la même couleur.  Dans son sac il devait y avoir peu de choses. Elle ne fume pas, donc pas de briquet ni de cigarettes, une petite trousse de maquillage peut-être, mais je ne saurais même pas vous la décrire. Un vaporisateur de parfum sans doute, je lui offrais régulièrement des recharges de « Poison ». Si, quand même, son agenda ; Elle avait un agenda « Hermès » de cuir fauve à recharges interchangeables.  A l'intérieur il y a une étiquette dorée avec son nom et son adresse. Et puis ses bijoux ;  elle porte toujours beaucoup de bijoux.
          « Des bijoux de valeur ? Demanda le gendarme.  Avaient-ils suffisamment de valeur pour tenter un maraudeur ?
          « Ce sont des bijoux en or, dit Pierre. Mais vous savez, au prix de l'or il faudrait en porter au moins un kilo pour que cela devienne intéressant.
          « Certaines personnes sont incapables de faire ce genre de calculs, dit le gendarme. Ils sont comme des pies, il suffit que ça brille pour que ça les attire.
          « C'est possible, dit Pierre ; elle avait une chaîne en or avec quelques médailles, et puis des bracelets, plusieurs bracelets et ses bagues.
          « Ce n'est pas absolument probant dit le gendarme, mais nous pouvons en tenir compte.
          « J'ai quelqu'un à voir à Nice, reprit Pierre ; c'est l'imprimeur à qui j'ai commandé des affiches. En voyant une photo de ma femme il a eu l'impression de la connaître.
          « Ça peut être un début de piste, dit l'autre. Voulez vous me donner son adresse ? Il ne faut rien négliger.
          Le gendarme d'Orange lui avait déjà dit la même chose. Ils avaient l'air sérieux et consciencieux, mais Pierre aurait voulu être certain de leur efficacité.     
          Quand les gendarmes furent partis Pierre se rendit à l'usine. Solange était dans son bureau et elle le regarda entrer avec un air un peu étonné.
          « Ah ! Monsieur Meunier, dit elle, je ne pensais pas que vous rentreriez si tôt. Après votre coup de téléphone de l'autre jour j'ai cru que vous alliez prendre une semaine de vacances avec votre femme !
          Pierre referma soigneusement la porte derrière lui afin d'isoler le bureau de la réception.
          « Solange, j'ai quelque chose de grave à vous dire, commença-t-il. Ma femme a disparu depuis samedi ; je crois qu'elle a été enlevée. C'est pour cela que je ne suis pas rentré plus tôt et je vais d'ailleurs repartir.
          Solange se mordit les lèvres ;
          « Excusez moi, dit-elle ; j'ai dit une bêtise.
          « Ce n'est rien, dit Pierre, vous ne pouviez pas savoir. Je compte sur vous pour mettre au courant les membres du personnel et vous occuper des affaires courantes pendant quelques jours, comme si j'étais en vacances. Il va sûrement y avoir des tas de gens qui vont téléphoner pour me présenter leurs condoléances. Contentez vous de noter leurs noms  et ne leur communiquez pas mon numéro de portable. Je vous demanderai aussi, si vous le voulez bien, de passer chez moi relever mon courrier. Si vous voyez une lettre qui paraît présenter un intérêt particulier vous me la lirez. Ne vous occupez pas de tout ce qui est officiel, ni des factures etc...
          Pendant qu'il parlait Solange se triturait les doigts avec nervosité. Pierre se demanda si elle serait à la hauteur de la situation ou si son émotivité l'empêcherait de garder le calme et le détachement nécessaire.
          « Pensez vous que cela va aller ? Demanda-t-il.
          « Oui monsieur, répondit sa secrétaire, mais ça fait un tel choc d'apprendre ça comme ça !
          « Je vais repartir dans le midi, dit Pierre ; c'est de là-bas que nous organisons les recherches. Mes enfants sont prévenus et doivent rentrer de Grèce sous peu ; s'ils téléphonent ici dites leur de m'appeler sur mon mobile, mais ils le feront certainement d'eux même. Et si vous avez un problème d'ordre professionnel n'hésitez pas à me téléphoner vous aussi.
          Solange était une femme blonde et corpulente d'une cinquantaine d'années, au visage souriant et qui avait travaillé toute sa vie à la So.Fo.Bel ; elle y était entrée toute jeune dactylo et à force de dévouement professionnel avait gagné la confiance des différents patrons qui s'y étaient succédés. Elle connaissait tous les rouages de la société, tous ses secrets, et si elle n'avait peut-être pas la carrure suffisante à la direction d'une usine elle était l'élément indispensable sur lequel chacun pouvait se reposer. Son mari, qui était employé aux ateliers, était mort d'un accident du travail quelques années auparavant et, loin d'en vouloir à l'entreprise, elle s'était complètement investie dans sa tâche au point de s'identifier à la société pour beaucoup de ses clients ou de ses fournisseurs.  Quand Pierre avait pris la direction de la So.Fo.Bel il y a quelques années celle-ci battait quelque peu de l'aile. Plusieurs directeurs s'étaient succédés  que ce fut pour des raisons de santé ou d'incapacité notoire. Pierre s'était tout de suite senti en confiance avec elle et sous sa houlette la fonderie était repartie sur des bases plus saines après une restructuration drastique.
          « Il se peut, reprit Pierre, que les gendarmes viennent ici pour poser quelques questions ; c'est normal dans le cadre de l'enquête, faites tout pour leur faciliter les choses.
          « Les gendarmes ? S'étonna Solange, mais que pourraient ils apprendre ici, madame Meunier n'y vient jamais !
          « Je le sais, dit Pierre, vous le savez, mais eux veulent apprendre tout ce qu'ils ne savent pas.
          Il y eut un silence pendant lequel Pierre eut l'impression que Solange hésitait à lui dire quelque chose. Il la regarda en haussant les sourcils et l'invita à continuer.
          « C'est qu'il va y avoir un problème, dit sa secrétaire. Cela tombe mal mais je crois que les ouvriers veulent se mettre en grève. Ils disent que maintenant que la santé de l'entreprise est rétablie il est normal qu'ils soient augmentés.
          « Dites leur que je considère que cela peut se justifier mais que nous pourrons en parler quand cette histoire sera réglée. J'espère qu'ils vont comprendre que ce n'est pas le moment.
          Pierre réfléchit un instant.
          « Sentiez vous venir cela depuis longtemps ? Demanda-t-il ;     
          « Un petit moment, répondit Solange ; mais vous savez, ce sont toujours les mêmes râleurs qui font du bruit, qui font des réflexions. Mais maintenant ils parlent de faire une réunion pour évoquer le problème du salaire.
          « Faites leur savoir que ma femme a été enlevée avant qu'ils n'aient fixé la date de leur réunion, lui dit Pierre.     
          Il sentit des envies de colère monter en lui. Patiemment, méthodiquement, il avait complètement transformé la vieille entreprise belfortine jusqu'à lui redonner une santé nouvelle et maintenant il avait l'impression que certains voulaient détruire le travail qu'il avait réalisé. Bien qu'il n'en fut que le directeur il avait un peu le sentiment que la fonderie lui appartenait, qu'elle était sa « chose », sa création, et que lui seul avait le droit d'y apporter le moindre changement.
          «  Ecoutez, dit-il à Solange, je ne sais pas trop où j'en suis pour le moment et je ne sens pas d'attaque pour régler ces deux problèmes en même temps. J'espère qu'ils vont le comprendre et qu'ils ne vont pas essayer d'en profiter.
          En disant cela il pensait à quelques teigneux qui étaient là depuis de nombreuses années.
          «  Tenez moi au courant Solange, dès qu'il se passe quelque chose, je vous en remercie.
          Il remit son pardessus et quitta l'entreprise.

 

 

                                                                      ( A suivre )
 

Mourrir

Mourrir



Chaque jour mourrir un peu,
Lentement s'approcher
Du jour où bien trop vieux
La vie veut nous quitter

Voir s'enfuir un à un
Les plaisirs, les espoirs
Les rires du quotidien
Et entrer dans le noir

N'avoir que les regrets
Des gestes et des sourires
Oubliés ou jetés
Regrets et souvenirs

S'accrocher et se battre
Endurer les leçons
Et essuyer les plâtres
Puis se dire : A quoi bon...

16:15 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (1)

10/07/2006

Petite Fée

Petit lutin caché sous les feuilles d'érable

Plume au vent, habit vert qui jamais ne se fane

Petite fée Clochette lumineuse et diaphane

Prends bien garde à l'enfant qui t'invite à sa table

 

Te lutiner dis tu ? Mais comment pourrait il ?

Ses jeux aventureux, ses regards caressants

N'ont qu'une volonté, un désir innocent,

Poser ses yeux sur toi, jouir de ton doux babil

 

Il est comme un insecte qui vole de fleur en fleur

A toi de l'attraper si tu veux le garder

Ou ferme ta corolle si tu veux l'éviter

 

Il viendra butiner ton nectar sans pudeur

Petite fée Clochette qui lui chauffe le sang

Cet insecte, ce faune, a pour nom Peter Pan

10:10 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

01/07/2006

A Point

Comme un oiseau cuit cuit

Qui vole à tire d'aile

Et tombe tout roti

Au fond de la Gamelle

 

Je m'offre en festin

Aux lèvres parfumées

Dont l'ultime destin

Est de me déguster

 

Une viande cuite à point

A cessé de saigner

Et ce très simple soin

N'est pas à dédaigner

 

Manger, être mangé

Il faut combler sa faim

Un bonheur partagé

Donne à chacun sa fin

19:45 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)